"La gratitude comme
antidote à l'insatisfaction, comme prise de conscience que j'existe
aussi grâce à l'autre, n'a pas fini de me délivrer...
Je vis grâce à cette
truite grillée, ce chou mariné, cette limonade et le sourire de ma
femme.
Tout à l'heure, Junho
va m'aider à me raser, puis mon bon professeur de coréen
m'appellera sur Skype en réclamant, pour unique salaire, des
progrès.
S'offrir des cures de
gratitude, pour se rééduquer, redémarrer à tout âge. Non, ce
n'est pas tenir compagnie à Monsieur Coué que de se concentrer sur
le bien.
Je peste en face de ce
plat immonde, mais j'oublie de me réjouir devant ce mets bien
préparé chaque jour par mon épouse.
Non, ce n'est pas
mièvre de s'émerveiller ! Se rapprocher du réel, bien ouvrir
les yeux, être là. Orienter le regard sur tout ce qui va bien. Ce
qui contrarie, et ça ne manque pas, se rappellera très vite à
nous !
Dire merci, au fond,
c'est sentir que tout circule, se partage, se donne et se reçoit. Un
pas de plus et , certains jours, je peux même témoigner quelque
reconnaissance envers l'épreuve et le handicap.
Maître Eckhart m'y
aide : « Dieu donne à chacun ce qui vaut le mieux pour
chacun et lui convient. Pour tailler un vêtement à quelqu'un, il
faut le faire à sa mesure ; un vêtement qui irait à quelqu'un
n'irait pas du tout à l'autre. Chacun reçoit selon ce qui lui
convient. Ainsi, Dieu donne à chacun ce qui vaut le mieux pour lui,
ce que Lui, qui sait, reconnaît pour le plus convenable ; »(1)
Redoutable conversion du regard exigée par le mystique. Tout ce qui
arrive est le meilleur pour moi, même cette immense tuile qui me
tombe dessus.
La chance, c'est de
faire avec sa malchance.
Si de mon cœur sortent
des « merci », plus encore de ma bouche s'échappent des
« bon sang », des « merde », des « j'en
ai ras le bol ».
Tout est exercice,
chemin de libération ..."