mardi 15 mai 2012

Histoire de Sadhûs





Sadhûs, photo de Karl.


"À Buria, un autre renonçant avait lui aussi décidé de quitter son corps.
 Il méditait au bord du Gange, là où le lit du fleuve est étroit et profond, et son cours tumultueux. Être ou ne pas être ? Il avait choisi. Il allait sauter.
 Sadhûs et pèlerins venaient honorer d'encens, de guirlandes de fleurs et de pranam ce darshan ultime, et nous nous joignîmes à eux pour nous courber devant l'homme qui avait résolu de mourir. Il avait peut-être cinquante ans, maigre, un peu usé, les yeux ouverts. Décidé, serein, concentré. Libéré.


Soudain, il se leva, courut jusqu'à la berge et sauta dans les flots rugissants où il disparut en un instant.


La suite de l'histoire se passe pour lui dans la cataracte où, dans un environnement asphyxiant, son corps est secoué, cogné, brisé, désarticulé, écrasé. Il respire l'eau glacée puis perd conscience dans un ultime tourbillon. Fin. Sur l'écran de la conscience, une lumière sans image. Ou le noir. Lui le sait. On ne sait rien.
- Qu'as-tu vu, Connor (1)?
- Rien de spécial. Un homme qui m'a regardé le saluer. Il était indifférent.
- Il sacrifie le monde en sacrifiant son corps. Cette mort sans peur lui garantit qu'il ne renaîtra pas, assura Anandababa (2).
- Babaji (3), vous avez dit que nous ne sommes pas ce corps, que nous ne sommes pas nés ! intervins-je. Quoi qu'il arrive il ne renaîtra pas !
- Tu fais rire Babaji. Cela, tu ne l'as pas vu.
- Prassad (4) fait rire Prassad, Babaji, avouai-je.
- Qu'as-tu vu ? 
- J'ai vu un homme qui a préféré ne pas être me regarder dans les yeux calmement. Le darshan de l'adieu. Par son choix, il m'a dit : "Tu n'es qu'une illusion." Mais n'est-ce pas prendre la philosophie trop au sérieux que de la conduire à cet extrème du mépris de la vie ?
- N'est-ce pas prendre la vie trop au sérieux que de ne pas l'y conduire ? me répondit Anandababa, hilare.


Dans l'Astâvakra Samhitâ :
 Celui qui se considère libre est libre en vérité
 Et celui qui se considère limité est limité en fait.
 Tu deviens ce que tu penses. (I,11)
Que faut-il en penser ?...
 Nous quittâmes Buria."

(1) Connor est un jeune australien qui suit aussi Anandababa 
(2) Anandababa, le sadhû guru du narrateur
(3) Babaji, diminutif empreint de respect de Anandababa
(4) Prassad, le nom de disciple que Anandababa a donné au narrateur
Patrick Levy
Sadhûs
Ed Pocket p 416-417


6 commentaires:

Anonyme a dit…

Je ne suis pas sûre de comprendre l'histoire. Elle m'intrigue un peu.
Un renonçant ayant compris Cela ou libéré n'a plus de désir, la libération est la libération du désir, le désir meurt, il est donc dans le non-désir, non-désir de vie, non-désir de mort de la même façon, non-désir du non-désir ... Dans cette histoire, a t-il le désir de mort ?
Il doit y avoir autre chose à comprendre, il parle de toute autre chose, l'histoire du sacrifice ...
Bon, si qqu'un a une idée, ma culture indienne est très limitée.
Marie-Pierre

Anonyme a dit…

Merci Corinne, la photo est très belle mais je ne crois que ce soit de moi... ça ne me dit rien du tout...
Karl

Dimitri a dit…

Il faut en penser que nous sommes libres -

Anonyme a dit…

Un homme ou une femme libre n'a plus le choix !!! Il/Elle est libre, libéré(e) d'avoir à choisir, il/elle ne choisit pas d'être ou ne pas être, elle est ou alors n'est pas.
Plus j'y pense, plus je doute du narrateur, je ne suis pas convaincue par la narration.
Marie-Pierre

Anonyme a dit…

" Tu deviens ce que tu penses" ...
Le problème avec ça c'est qu'on veut devenir autre chose que ce qu'on est, et du coup, on ne s'accepte pas.

A mon avis se penser libre ne sert a rien, mieux vaut commençer par voir de quoi on est composé, et par la suite grâce a la vision, voir qu'on est liberté, et pas libre car libre c'est toujours par rapport a quelque chose, donc il y a dualité. Alors que être la liberté c'est autre chose...

Je joue un peu avec les mots, mais être la liberté c'est l'essence d'être libre, être libre c'est dans le relatif (et on est jamais libre dans le relatif car la Vie a sa propre volonté).

peace

florian

Anonyme a dit…

"Tu deviens ce que tu penses" ... Eh bien justement, je pense beaucoup ... Oui, il s'agit bien de vider les pensées de la tasse afin que le "maître" puisse y faire son job.
Marie-Pierre