mardi 12 juin 2012

Ébène




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"(...) un chef-d'oeuvre hybride et bouleversant ; peu de livres ont fait sentir l'Afrique d'aussi près."
Jacques Meunier - Le Monde

Je ne saurais mieux dire...



"L’ Européen et l’Africain ont une conception du temps différente, ils le perçoivent autrement, ont un rapport particulier avec lui.

Pour les Européens, le temps vit en dehors de l’homme, il existe objectivement, comme s’il était extérieur à lui, il a des propriétés mesurables et linéaires. Selon Newton, le temps est absolu : «  Le temps mathématiques, absolu, véritable s’écoule de par lui-même, par sa propre nature, uniformément, et non en fonction d’un objet extérieur. » L’Europeen se sent au service du temps, il dépend de lui, il en est le sujet. Pour exister et fonctionner, il doit observer ses lois immuables et inaltérables, ses principes et ses régles rigides. Il doit observer des délais, des dates, des jours et des heures. Il se déplace dans les lois du temps dans les lois dutemps en dehors desquelles il ne peut exister. Elles lui imposent ses rigueurs, ses exigences et ses normes. Entre l’homme et le temps existe un conflit insoluble qui se termine toujours par la défaite de l’homme : le temps détruit l’homme.

Les Africains perçoivent le temps autrement. Pour eux le temps est une catégorie beaucoup plus lâche, ouverte, élastique, subjective. C’est l’homme qui influe sur la formation du temps, sur son cours et son rythme (il s’agit bien entendu de l’homme agissant avec le consentement des ancêtres et des dieux). Le temps est même une chose que l’homme peut créer, car l’existence du temps s’exprime entre autres à travers un événement. Or c’est l’homme qui décide si l’événement aura lieu ou non. Si deux armées ne s’affrontent pas, la bataille n’aura pas lieu ( et donc le temps ne manifestera pas sa présence, n’existera pas).

Le temps est le résultat de notre action, et il disparaît quand nous n’entreprenons pas ou abandonnons une action. C’est une matière qui, sous notre influence, peut toujours s’animer, mais qui entre en hibernation et sombre même dans le néant si nous ne lui transmettons pas notre énergie. Le temps est un être passif, est surtout dépendant de l’homme.
C’est tout à fait l’inverse de la pensée européenne.

Pour le traduire en termes pratiques, cela veut dire que si nous allons à la campagne où doit se tenir l’après-midi une réunion, et qu’il n’y a personne sur les lieux de cette réunion, la question « Quand aura lieu la réunion ? » est insensée. Car la réponse est connue d’avance : « Quand les gens seront réunis. »"

 Ryszard Kapuscinski 
 Ebène, Aventures africaines 
Pocket p 23/24

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1 commentaire:

j-p gepetto a dit…

"le temps détruit l’homme." J'ai pigé, je détruis le temps, et hop plus d'esclavage.
Non, mais alors, c'est qui commande!!!
J-P atempo-petto