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--> Juste un souvenir...Je suis partie 10 jours avant le groupe pour peaufiner le programme, repérer les lieux, prendre des contacts...J'arrive à Haridwar par le train. La gare est un monde en soi, un univers grouillant, coloré, odorant, où des familles entières attendent des trains qui semblent-il viendront dans si longtemps que tout le monde s'installe sur le quai pour dormir ou manger ou les deux. En fait, personne ne semble vraiment attendre, du moins il n'y a aucun des signes qui en Occident trahissent l'attente. Pas d'impatience, pas de montres ni de portables consultés fébrilement. Juste la vie qui continue sur le quai de la gare. Le petit dernier que la mère berce pour qu'il s'endorme, les valises qu'on ouvre et ferme pour en sortir un samosa (2) enveloppé dans du papier journal à moins qu'on aille l'acheter au vendeur ambulant installé un peu plus loin.Il faut contourner, les jeunes, les vieux, les enfants, les mendiants, les tas invraisemblables de sacs en tout genre. La valise à roulette fait des zig zag puis sans que je l'aie vraiment décidé s'envole et se pose sur la tête d'un homme à la chemise et au turban rouge vif. J'ai beaucoup de mal à lui faire comprendre que je n'ai pas besoin d'un porteur car la sortie est à quelques mètres. Je ne parle pas l'hindi et lui pas l'anglais visiblement. Mais l'expression et les gestes suffisent.L'hôtel a envoyé un taxi me chercher qui arrive un peu après moi. Je réussis à reconnaître mon nom sur la pancarte que tient le chauffeur. Il faut dire que la foule des voyageurs descendus du train de Delhi a été comme absorbée par la rue en mouvement perpétuel qui passe devant la gare et il n'y a quasiment plus que moi et ma valise au milieu du parking momentanément vide. Enfin, vide comme un espace peut l'être ici...la moitié des rickshaw est repartie chargée de voyageurs et de paquets divers et on y voit un peu plus clair sur la place.Nous voici happés par la circulation de midi, bruyante, imprévisible et en réalité très fluide car nous ne faisons que frôler les bus, les rikshaw, les vaches, les cyclistes et les piétons : Haridwar est une ville de pèlerinage et tout au long de la période du Yatra (3) la rue principale est sillonnée par des groupes de pèlerins qui empiètent parfois largement sur la chaussée. Les Rajastanis et les Gujaratis sont les plus impressionnants : longs et minces, d'une élégance superbe que n'affecte en rien les trous de leurs vêtements, ils marchent la tête haute; les hommes portent des turbans très colorés et des anneaux aux oreilles, les femmes de larges jupes, des voiles ondulants et des bijoux sonores.Nous traversons le Gange. J'entrevois les eaux encore un peu boueuses d'après la mousson. La largeur est celle d'un fleuve, le débit celui d'une rivière de montagne. Deux ronds-points et quelques statues de Shiva plus loin, nous prenons la direction de Rishikesh : l'hôtel est sur le bord de la route,imposant, tout neuf – quelques échafaudages sont encore utilisés sur le côté – et un indien moustachu (c'est presque un pléonasme) s'avance vers moi en souriant.Il m'accompagne dans l'hôtel et je finis par comprendre lorsqu'il me présente ma chambre que c'est le "general manager" . Je suis impressionnée de tant d'honneurs : en tant que « group leader » je suis une cliente un peu particulière, même si ce n'est pas moi qui ai réservé l'hôtel. Je sens que tout le personnel veut donner une image grand standing du lieu et accueillir les clients au mieux.La chambre est spacieuse, impeccable, très confortable. Le manager se dirige droit vers la grande fenêtre et d'un geste large écarte la tenture comme s'il s'agissait d'un rideau de théâtre :« There is a Ganga view » dit-il avec fiertéEt là, c'est le choc des civilisations. Là où mon esprit logique cartésien d'occidentale moyenne ne voit qu'une route encombrée au premier plan puis un épais rideau d'arbres, lui, voit le Gange. Je laisse échapper : « But where is Ganga ? »Lui le voit puisqu'il est, là, derrière le feuillage touffu. Il me regarde les yeux grand ouverts et pointe son doigt vers la rangée d'arbres : « Here »Logique commerciale conclut le cynique : la vue sur le Gange est un argument publicitaire pour l'hôtel. Je dis, logique sentimentale : Ganga n'est pas un fleuve, Ganga est une personne, une Déesse, chaque matin à l'aurore, chaque soir à la tombée du jour l'arati l'honore, chaque bateau qui la traverse lui offre des fleurs ou une prière, son eau est sacrée , les indiens voyagent des jours entiers pour un bain rituel qui les lavera de leur karma négatif. Ganga est une des artères du corps de l'Inde, toute la ville est tournée vers elle, construite autour d'elle, vit au rythme de ses cycles. Ganga est là, derrière les arbres. Quelle importance de la voir ou pas ? Elle est là, juste derrière. Et cela comble le manager de l'hôtel qui par son sourire veut me faire partager ce qu'il ressent.La logique de l'Inde est une logique émotionnelle au pire, liée au coeur dans ses meilleurs aspects.Et quel bonheur de sortir de sa propre logique, de découvrir que son approche n'est pas la seule, d'élargir sa perspective et de pouvoir sentir sans ironie : « oui, c'est une magnifique Ganga view. »
(2) sorte de chausson fourré aux légumes
(3) Yatra = pèlerinage
3 commentaires:
Oui, Oui, "Ganga woman", c'est bien ce que je te disais que tu es...
Merci Corinne,
Karl
très drôle !!!
Merci
Patrick
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