mardi 17 avril 2012

Kafka sur le rivage

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'Kafka sur le rivage' est un roman d'initiation où Haruki Murakami mêle avec adresse le réel, le surnaturel et les traditions japonaises, dans un style particulier fait de réflexions - entre poésie, philosophie et psychanalyse - sur l'amour, la vie, l'au-delà... Le parcours s'avère initiatique tant pour le héros que pour le lecteur. Murakami nous propose un voyage au pays de la littérature japonaise, occidentale, et nous invite à goûter au pouvoir onirique de la musique classique. Dans un style fluide, l'auteur japonais étudie les tourments de l'âme humaine et s'immisce dans nos propres turpitudes. Il se fait habile alchimiste tentant, à travers les mots, de trouver la porte d'entrée - "la pierre de l'entrée" - entre le monde matériel et le monde spirituel. Départ pour un voyage qui se transforme en étrange périple dans une forêt d'outre-tombe, un parcours in-utero. S'ensuivent des séquences troublantes où le temps et l'espace se confondent et où la vie n'est que métaphore. On ressent une grande solitude dans les personnages de 'Kafka sur le rivage', malgré les liens qui se tissent entre eux. Il en ressort que chacun de nous - personnage ou lecteur - est condamné à chercher seul sa vérité, qui lui est propre. Ce roman, d'un genre particulier, laisse une impression ambivalente : un inconfortable sentiment d'incompréhension, de désarroi, mais une irrésistible envie de faire confiance aux rencontres du hasard.
Evene

Ce qui frappe d'abord à le lecture de « Kafka sur le rivage », c'est le nombre impressionnant de genres littéraires qu'on y trouve : le roman historique (l'occupation américaine lors de la seconde guerre mondiale), le conte (il pleut des poissons et des sangsues), le polar (qui a tué cet artiste réputé ?), la tragédie (le personnage central, le jeune Kafka Tamura, est victime de la prédiction funeste programmée par son père), le roman mythologique (référence très forte à Oedipe et ses parents), le roman philosophique (exposé sur le concept du sujet et de l'objet d'Hegel) et enfin le livre d'épanouissement personnel, qui transcende tous ces genres en donnant une unité à ce roman et une finalité à la fugue du jeune Kafka.

Ce qui frappe ensuite, c'est la capacité d'Haruki Murakami à nous faire ressentir les événements qu'il décrit. Son écriture dépouillée et fluide permet d'aller au coeur de l'action et de s'approprier les émotions fortes des différents personnages. Que ce soit de la tristesse, de l'excitation érotique ou encore du suspense, le lecteur vit par moment organiquement ce que vivent les êtres de ce roman. Comme le dit un personnage : « le plus important pour nous, c'est que chacun se laisse absorber par la vie ».

Ce roman invite à l'introspection : « Souvent quand tu mets le pied dans un labyrinthe extérieur, c'est que tu entres aussi dans un labyrinthe intérieur ». Cette métaphore met en relation les deux types de cheminement qu'accomplissent les deux personnages centraux de ce roman : le parcours géographique (une fugue pour Kafka, un premier voyage en dehors de sa ville pour le vieux Nakata suite au meurtre de l'artiste) et le parcours intérieur (se libérer de la terrible prédiction paternelle pour Kafka, remplir le vide qui habite Nakata et qui permet à d'autres de faire ce qu'ils veulent de lui). Ces deux parcours se développent parallèlement, d'abord sans lien apparent, puis les interrelations se font de plus en plus nombreuses. Et comme tout est relié chez Murakami, qui fait dire à un de ses personnages que « la logique, la morale ou la signification n'ont pas d'existence en tant que telles, mais naissent d'interrelations », d'autres mondes se rencontrent dans ce roman (la frontière entre le réel et le surnaturel est supprimée, des personnages du passé côtoient ceux du présent, les chats peuvent communiquer avec certains personnages, etc.).

Roman métaphorique et fantasmagorique, « Kafka sur le rivage » peut désarçonner le lecteur rationnel. En plus de mélanger allègrement les genres littéraires ainsi que les mondes réels et surnaturels, il soulève de nombreuses hypothèses auxquelles aucune réponse claire n'est donnée. Sans doute une invitation à l'exploration des différents mondes dont nous n'avons pas encore trouvé la porte d'entrée.
Jeff sur Amazon
Et dans le mode "critique minimaliste" :
D'abord merci Christian pour m'avoir incité à fréquenter l'univers de Murakami. J'ai bien apprécié " Autoportrait de l'auteur en coureur de fond". Je me suis trouvé certains points communs avec Haruki, ne serait-ce que notre modeste performance sur le marathon. Kafka sur le rivage, c'est envoûtant, décoiffant, mystérieux, à lire comme on regarde un rêve, un rêve initiatique, qui ouvre des portes, qui fait sauter des barrières. Comme pour "1Q84" je me suis trouvé mitigé, une part timide de moi disait : "Arrête de lire ça, ce n'est pas bon pour toi" mais faites attention, quand un livre de Murakami vous attrape, il ne vous lâche plus.
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1 commentaire:

Christian a dit…

Je suis heureux que tu aies partagé le plaisir que j'ai aussi connu en lisant ces livres.

J'avais noté ça :

« Autoportrait de l’auteur en coureur de fond » Haruki Murakami, Belfond, 2009, p. 24-2

En réalité, quand je cours, je ne pense à rien qui vaille la peine d’être noté.
Simplement je cours. Je cours dans le vide. Ou peut-être devrais-je le dire autrement : je cours pour obtenir le vide. Oui, voilà, c’est cela peut-être. Mais une pensée de-ci-de-là, va s’introduire dans ce vide. Naturellement, l’esprit humain ne peut être complètement vide. [Les pensées qui me viennent en courant sont comme des nuages dans le ciel. Les nuages ont différentes formes, différentes tailles. Ils vont et viennent, alors que le ciel reste le même ciel de toujours. Les nuages sont de simples invités dans le ciel, qui apparaissent et disparaissent. Reste le ciel. Il existe et à la fois n’existe pas. Il possède une substance et en même temps il n’en possède pas Nous acceptons son étendue infinie, nous l’absorbons, voilà tout.