mercredi 12 janvier 2011

Dans les tours

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J ‘ai toujours été fasciné par les motos sportives. Non pour leur profil futuriste et leurs couleurs agressives, mais pour le long cri qu’elles poussent dans leurs accélérations infinies et foudroyantes. Cette plainte qui monte vers l’aigu jusqu’à s’étrangler, défiant les limites de l’audible comme un solo de guitare électrique d’Hendrix.

Et pourtant, je constate mon choix constant pour des motos coupleuses, gros monos baroudeurs au cœur généreux, customs assis lourdement sur leur pneu arrière qui promènent leur mélange de camboui et de chromes à basse vitesse, ces motos qui vous relèvent des virages comme des bras paternels. Le couple dans sa force tranquille qui bande son piston, soulève la moto comme une grosse pierre et la remet tranquillement dans les rails.

Ma nouvelle moto* m’a ouvert un autre horizon. Tout en gardant un couple respectable, elle m’offre la possibilité de monter dans les tours et de découvrir le monde qui s’étend au-delà de l’horizon des 7000 tours.

D’abord il y a l’attente, que le moteur soit chaud, jusqu’à ce qu’une ligne droite vienne me titiller le poignet. L’aiguille du compte tours se alors à monter « tranquillement » jusqu’à 5000 tours : sensation de poussée bien connue, confortable comme une marche d’approche. Puis l‘accélération se fait plus franche, l’aiguille bondit jusqu’à 8000, enfin, dans un jaillissement désespéré, elle se jette sur la zone rouge à 11 000. Saisi d’un mélange d’ivresse et de peur, je passe la vitesse avant que le rupteur n’interrompe le cri du moteur.

Je ne sais comment décrire l’intensité dans ces dixièmes de secondes. Empreints d’un élan infini et brûlants comme un incendie, ils portent en eux-mêmes la finitude de la zone rouge, l’éphémère du jet d’une flèche, le fracas irrémédiable d’une chute, du retour à la réalité linéaire…

Car l’accélération, dans ces instants, contamine tout, le paysage qui défile, le temps qui se presse et mon cœur qui s’emballe entre peur et fascination. Jusqu’où va me conduire cette accélération ? Je n’ai pas le temps de savoir que déjà je dois stabiliser ma vitesse, éprouver la monotonie linéaire du ronron du moteur avec quelques gouttes de sueur dans le cou comme souvenir.

Jean-Baptiste



* la moto actuelle de Jean-Baptiste est une Suzuki DL 650 V-Strom


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8 commentaires:

Olivier a dit…

Très beau texte Jean-Baptiste. Merci.

Motard, poète et fan d'Hendrix, quel talent!

Anonyme a dit…

STROM c'est le nom d'un gnome de la Forêt Noire ?

A lire Jean-Baptiste je l'aurais plutôt baptisée STORM.

Ah ! Si Victor Hugo était vivant, lui qui s'intéressait à beaucoup de choses, il en aurait certainement fait un poème cosmique ! Mazeppa Storm ?

gjm

sandrine a dit…

Bingo, gjm: Jean-Baptiste adore la poésie de Victor Hugo... Jean-Baptiste, Hugo de la moto? y a d'ça...

Anonyme a dit…

ouaaw,voila une bien belle experience de sensualité,de passion et de vigilance.

guy bxl

Anonyme a dit…

Très beau texte qui contredit deux idées répandues : les hommes ne parlent pas de ce qu'ils ressentent ; la moto c'est quand même un peu "bourrin" ;)

Pierre

Christophe a dit…

Un jour, sur le périph' parisien, en décidant de suivre un motard sur une de ces motos sportives qui roulait à prés de 180 entre les voitures circulant à 80, je suis allé au-delà de ma peur, au-delà de cette limite qui conduit à réduire les gaz, pour découvrir, et ce fut une expérience unique, que "je" ne contrôlait rien et que "ça" pilotait, comme dans un rêve, une zone de paix après le tumulte des émotions et la pression physique. J'étais "in the zone" pour paraphraser Eckhart Tolle. Merci pour ce très beau texte.
Amitiés.
Christophe

Anonyme a dit…

Je viens de faire un retour La Rochelle - Annecy, volontairement par les routes, les départementales meme. Les motocyclistes sont moins protégés que les automobilistes mais prennent bien plus de risques.
" Meme si l'effort de lever le pied, meme si cela est difficile, meme si cela peut etre vécu comme une absurde amputation de liberté..." Hervé Pichon - Contre la violence routière. Versailles au coeur.

La moto dans l'imaginaire masculin remplace évidemment le cheval ! Ce serait le cheval de fer des amérindiens. Le bourrin de Mazeppa ! ? Les psy nous disent qu'il y a dans ce symbole de monture des connotations homosexuelles, transgressives...

gjm

Anonyme a dit…

Je viens de faire un retour La Rochelle - Annecy, volontairement par les routes, les départementales meme. Les motocyclistes sont moins protégés que les automobilistes mais prennent bien plus de risques.
" Meme si l'effort de lever le pied, meme si cela est difficile, meme si cela peut etre vécu comme une absurde amputation de liberté..." Hervé Pichon - Contre la violence routière. Versailles au coeur.

La moto dans l'imaginaire masculin remplace évidemment le cheval ! Ce serait le cheval de fer des amérindiens. Le bourrin de Mazeppa ! ? Les psy nous disent qu'il y a dans ce symbole de monture des connotations homosexuelles, transgressives...

gjm