La pratique qui vise l’émotion est une pratique « curative ». Si on considère que la maladie c’est le mental, l’émotion c’est le symptôme. Quand le symptôme est là c’est que la maladie a encore frappé….Mais toute bonne médecine c’est-à-dire toute médecine efficace n’est pas seulement curative elle est aussi préventive. La prévention en matière de pratique c’est la vigilance par rapport aux pensées.
Le travail que je nous propose est une observation très simple et un petit changement de mode de pensée qui peut donner des résultats certains, j’en suis sûre. C’est un exercice que je pratique mais pas assez souvent. Je me suis dit qu’en le proposant sur le blog ça me donnerait plus de motivation.
Les pensées ce sont des mots.
Des paroles prononcées, écrites, ou dites dans la tête. Nous pouvons constater en méditation à quel point il est difficile de rester dans la sensation pure, sans que des mots viennent décrire cette sensation. Ces mots ne sont pas prononcés, ils sont à peine formulés intérieurement, ce sont pourtant eux qui fonctionnent comme un filtre qui colore notre perception de la réalité. Ce filtre est là tout le temps, un brouillage omniprésent qui justement parce qu’il est omniprésent passe inaperçu.
En grammaire, ce filtre qui indique la subjectivité, qui témoigne d’un jugement, d’une appréciation portés sur la réalité perçue est repérable dans ce que l’on appelle techniquement les modalisateurs. Un modalisateur c’est un mot , un mode verbal, un signe de ponctuation qui marque une coloration personnelle dans la description de la réalité. Par exemple : « La moquette est d’un beau bleu profond. » « Beau » et « profond » sont des modalisateurs. Si je les enlève, il reste les faits : la moquette est bleue. Point.
Lorsque j’enseignais le Français j’ai souvent proposé à mes élèves des exercices à propos des modalisateurs. Ajouter des modalisateurs à une description neutre d’escalier pour en faire soit l’escalier qui monte à la chambre de la princesse soit celui qui descend jusqu’à l’antre de la sorcière. Je me suis beaucoup amusée avec eux à voir comment un mot peut tout changer.
J’ai aussi proposé des exercices, en particulier lorsqu’il s’agit de gérer un conflit, où il était question d’enlever les modalisateurs de façon à donner la vision neutre et la plus précise des faits.
Eh bien, c’est ce deuxième exercice que je nous propose. Et le conflit à gérer c’est notre propre conflit avec la réalité. La pratique consiste à observer : quels sont les mots que j’utilise pour parler, ou pour me parler de ce que je vis, de la réalité que je perçois à l’extérieur et à l’intérieur ? Mais l’observation ne suffit pas. Chaque fois qu’un modalisateur est repéré…eh bien, je l’enlève …et je goûte la différence. Je goûte la différence entre penser et voir !!Il y a un exemple tout simple qu’Arnaud donne, je n’ai pas retrouvé le passage, c’est celui de la météo. Les expressions pour décrire le temps qu’il fait sont très subjectives : « Il fait beau », « Il fait mauvais ». Beau, mauvais, modalisateurs. Nous nous disons ça le matin et c’est parti…. Il fait beau et c’est super parce que je voulais aller à la plage, ou il fait beau et je ne pourrais même pas en profiter car je suis enfermé dans mon bureau…variante : il fait mauvais et ça ruine mes projets de sortie, j’ai déjà pas le moral et le temps gris et triste ça me fait encore plus plonger ou au contraire, c’est parfait parce que j’ai un bon polar à lire ou encore, il fait mauvais et ce n’est pas normal en cette saison, les imbéciles qui prétendent que le dérèglement climatique est une lubie des écolos vont bien finir par se rendre à l’évidence….J’arrête, on peut s’exciter un bon moment là-dessus.
Il y a une charge émotionnelle importante dans une simple petite phrase pensée en se réveillant le matin : il fait beau ou il fait mauvais. Alors pourquoi, au risque de paraître un peu bizarre au début ne pas changer nos habitudes de langage qui sont forcément des habitudes de pensées ? Pas, il fait beau et chaud mais le ciel est dégagé et il fait 30° ou encore le ciel est nuageux et il fait 20° ( c’est plutôt ça aujourd’hui dans la Drôme). Et chaque fois que les bonnes vielles habitudes reviennent au galop, parce qu’elles reviendront probablement, elles sont tellement ancrées, bienveillance envers soi-même…. Et voilà, c’est revenu, OK, je corrige.J’ai expérimenté ce matin une correction de ce type, je veux dire un repérage + élimination de modalisateur. En nettoyant le placard où se trouve la chaudière j’ai vu que l’étagère était un peu mouillée et j’ai senti qu’à l’intérieur ça râlait ou ça s’inquiétait, un petit mixte émotionnel un peu confus, vous savez, le malaise courant, pas la grosse émotion. Justement parce que ce n’est pas une grosse émotion on a tendance à passer vite dessus. Enfin, on, il serait plus exact de dire « je », pour vous, je ne sais pas… La base du mixte émotionnel? Comment est-ce que je me suis formulé ce que j’ai découvert ? Quels mots est-ce que, sans m’en apercevoir, j’ai employé pour commenter la situation ? Ben, en réfléchissant un peu ça devait ressembler à : « La chaudière a encore un problème !». Vous entendez les modalisateurs ?
« Encore » et « problème » + le point d’exclamation et ça c’est ce que dit le mental.
La vérité dit : « Il y a une fuite d’eau sous la chaudière ».
Et ça ne sonne pas DU TOUT de la même manière.
Je me suis rappelé aussi – et j’avoue que j’ai souri en me rappelant de l’expression employée par mon amie Bhakti - que « je suis l’Esprit venu expérimenter la matière », que cette expérimentation passe aujourd’hui par une chaudière qui fuit et que dans la matière il existe aussi des plombiers chauffagistes. Allo, Les plombiers du Vercors…
Et pour les élucubrations sur le montant de la facture, la possibilité d’une panne…STOP. Et si ce genre de pensée qui à l’évidence ne correspond à aucune réalité revient…RE STOP.Vive la grammaire !
15 commentaires:
Bonjour Corinne,
Merci pour ces exemples si concret.
Ici en Bretagne ,ciel nuageux et19.4 degrés.
Le Verbe... Ah oui, le Verbe ! Il est bien au-delà - ou en-deça - des mots, le Verbe.
J'ai remarqué que même dépouillés de tout adjectif, de tout attribut, les mots que j'emploie sont la plupart du temps trempés dans des couleurs émotives qui leur donnent des reflets bigarrés ; en fait, ils ont perdu leur innocence, leur transparence, leur neutralité. Et j'essaie l'eau de Javel pour qu'ils reprennent leur non-couleur d'Antan. Mais, comme tu le dis si souvent, Corinne... y'a du boulot !
Merci pour cette leçon particulière de grammaire.
Isabelle
Isabelle, le langage courant peut être une mine d'or. Une fois vu et compris, il n'y a rien à jeter: excellent fumier, que du bon engrais!
L'eau de Javel dit NON à toute vie. Le fumier fait pousser ce qui nous nourrit.
Merci Corinne
Jacques
ah! quel plaisir de te lire, Corinne !...
plus neutre : voilà une chirurgienne de précision, qui m'initie au maniement de son bistouri ! cela fait un petit moment en effet que je constate des retours de négativité mentale donc verbale qui ne sont pas sans conséquence et que je me dis qu'il faudrait être plus pragmatique... alors voilà l'outil : stop aux modalisateurs ! Merci et comme le dit Isabelle, il y a du boulot
les vieilles habitudes ayant la vie dure, je retombe aussi dans le conflit ouvert avec la réalité qui se passe même de modulateur : le déni pur et simple, qui a certes le mérite de ne pas passer inaperçu, même si peu loquace
"Ce n'est pas possible" ou "ah non ce n'est pas vrai" : voilà les items qui avaient le don de faire hurler de rire un ami iranien...c'était pour lui une spécificité française ! et moi de l'envier...
oui, "goûtons la différence" : au désherbage !
martine B
P.S je comprends tout à coup pourquoi la littérature m'attire de moins en moins...
Jacques, l'eau de Javel ne dit pas "non" ; elle redonne au mot sa teinte originelle : la transparence.
Isabelle
Isabelle: crois-tu?
Jacques
waouh !... "l'innocence du mot..."
essence du mot ou de la chose...
je m'aperçois que j'ai été injuste avec la littérature
voilà : j'enfonce sûrement une porte ouverte mais je viens de relire un roman qui m'enchante :
"l'élégance du hérisson"
où on peut lire par ex :
"la faculté que nous avons de nous manipuler nous-mêmes pour que ne vacille point le socle de nos croyances est un phénomène fascinant."
ou encore :
"Bouleaux
Apprenez-moi que je ne suis rien
Et que je suis digne de vivre"
conclusion logique : "est-ce que c'est comme ça qu'il faut mener sa vie ? Toujours en équilibre entre la beauté et la mort, le mouvement et sa disparition ? C'est peut-être ça, être vivant : traquer des instants qui meurent"... c'est une petite fille éprise du japon qui parle...
alors évidemment toujours la tentation, quand on a VU l'instant, de chercher à l'immobiliser avec des mots...
Corinne, je te recommande ce livre qui témoigne aussi avec humour de l'amour de la grammaire, notamment le passage sur la virgule mal placée et le grand sommet de la question d'un élève posant à sa prof de français la question i mprobable : "à quoi sert la grammaire ?" et ce qui s'ensuit...
et puis pour tous les "pratiquants" du "pays de la haute pratique" : les évocations des vertus du silence, de la gorgée de thé, du camélias ... et d'un fou rire partagé devant des gogues peu ordinaires....
pardon c'est un peu long, je céderai peut-être en septembre à la blogomania
bises à tous
martine B
Merci de ce témoignage, Corinne... Il résonne très fort en moi. J'aime également cet exercice que "j'essaye" de pratiquer (au fait, pourquoi "essayer" ? Je le fais ou je ne le fais pas.) : le repérage, l'observation de toutes les qualifications sur ce qui est.
Bon vous relisez les commentaires sur le nouveau mac et mettez en parallèle ce qu'a écrit Corinne...
Je blague bien sur.
M'enfin!
un modèle d'exercice ! ce post est certainement d'un bleu vraiment très profond !
Super Corinne :
pigé, je stoppe au "STOP", je continue, je re-stoppe au "STOP", et vice-et-versa...
J-P stop-petto
Merci Yannick. Excellent exercice, en effet.
Jacques
Ah! que ça fait du bien, tous ces gens qui s'excitent sur de la grammaire!!! Je bois du petit-lait, moi qui me suis excitée des années sur ce type de merveille, devant les yeux dubitatifs des élèves qui ne voyaient pas toujours très bien ce qui me faisait ainsi exulter, dans notre rapport vivant possible aux mots...
Super extra: la chasse au modélisateur est ouverte !!!
J'en ai déjà trouvé, moi, et des jolis !!
Les faits, ici :
la moquette de notre chambre est vieille, usée par endroits, d'un rouge passé, c'est une description avec des caractéristiques, c'est tout.
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