lundi 17 mars 2008

Présence à la nuit

J’aime conduire la nuit,
Surtout en moto.

J’aime beaucoup ce sentiment de solitude, ce léger froid humide que je ressens même au cœur de l’été quand je file dans la nuit.

Mon univers devient limité, le paysage se restreint à de vagues formes obscures.
Je suis un point noir entre la tache rouge du feu arrière et le halo du phare.

Dans les grandes lignes droites j’ai l’impression de disparaître entre deux lignes blanche et rouge, comme gommé par la durée d’exposition de certains clichés photographiques. Mais dans les virages la nuit s’anime de ruptures, j’ai l’impression de poursuivre la clarté du phare qui échappe à ma volonté, ballottée par le tracé de la route elle prend des angles absurdes, plonge dans les freinages et éclaire la lune dans les accélérations. Pendant ce temps je cherche à analyser la lisière du faisceau pour lire la courbe et doser l’accélération qui va me redresser et m’en sortir. Je suis aussi fébrile que le lecteur qui poussé par le suspens avale un roman policier.
D’autant que cette courbe, qui me met en apesanteur, ou plutôt dans un vol glissé, aura une fin, mais quand ? Difficile à ce compte de savourer le paysage que découvre le phare avec une parcimonie pudique.

Je me surprends pourtant à contempler dans mes rétros, un arbre, un mur, un talus enflammé par un freinage.
De retour dans la plaine , le spectacle disparaît, une fois rassuré par le ronronnement monotone du moteur, je me laisse envahir les odeurs, celles de cuir et de suint du motard, celles d’essence et d’acier chaud de la moto mais aussi celles d’un champ de foin fraîchement coupé, de la résine chauffée par le soleil d’une pinède, celle d’une flaque de boue dans l’ornière d’un chemin. Peu à peu je me fonds dans la nuit, juste un point rouge poursuivant une luciole de 650cm3.

Jean-Baptiste Daubree

7 commentaires:

Anonyme a dit…

Quel plaisir que de prendre place à l'arrière et de me laisser porter par mots et monture.
Merci Jean-Baptiste !
Isabelle

Anonyme a dit…

Eh non! c'est moi, à l'arrière, chère Isabelle!
Sans rancune, mais fermement.

Anonyme a dit…

ps: moi à l'arrière de la monture, j'entends, pour l'évocation poétique, c'est open...

Anonyme a dit…

Ben, je vous laisse ma place avec grand plaisir ! rires

Anonyme a dit…

Les Amazones ne cèdent pas leur place comme cela, même à l'arrière de la monture !

Cette évocation d'odeurs, de bruits, d'ambiance, me rappelle curieusement mon accident de voiture, en pleine chaleur de l'été, j'avais acheté une
caissette de pêches.
J'ai manqué un virage, le virage, lui, ne m'a pas manqué ! Le bruit du choc, énorme,l'évanouissement.
Puis l'odeur du moteur, du bitume fumant, des pêches, odeur de moisson aussi. Les moissonneurs venus me tirer de ce mauvais pas, me réveillant avec une gnôle bien charpentée. La 2CV retournée, fichue ; je l'avais depuis 3 semaines.
Le pharmacien qui me recoud ! Ma tête avait traversé le pare-brise.
J'ai été ensuite l'un des premiers français porteurs de ceinture de sécurité - rouge - les autres conducteurs me regardaient comme si j'étais un fada !
Moralité : une 2CV ne se conduit pas comme un scooter.

gjm

Anonyme a dit…

Cher Gjm,

C'est bien parce que je ne suis plus une Amazone -plutôt genre "moi tout'seule", et "c'est moi qui conduis", l'Amazone- que je me cramponne avec joie à mon homme motorisé...

Anonyme a dit…

A Sandrine : cela montre bien ta confiance en ton homme.

Je connais des avis de femmes tout à fait opposés, elles ont souvent très peur à l'arrière.

gjm