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Photo de Véronique Fabart.
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Au
Ladakh, c'est le nom d'un lac immense et bleu de 135km de long dont
les deux tiers sont situés au Tibet, en territoire chinois. À 4300m
d'altitude, le paysage est minéral, d'une pureté absolue. Les
sommets qui entourent la masse immobile et profonde de l'eau se
découpent en arêtes nettes parfois soulignées de neige. À cette
hauteur l'homme n'est qu'un passant, ses constructions, des tentes
éphémères, les traces qu'il laisse si peu visibles. Quelques
oiseaux, quelques insectes. C'est l'espace du vent et du silence, aux
confins de la matérialité, l'espace qui frôle l'Esprit.
En 2015
avec mon amie Véronique nous y sommes arrivées dans l'après midi
et y avons passé presque 24h. Le temps de voir la lumière sans
cesse changeante donner à l'eau et au ciel toutes les nuances de
bleu du plus léger au plus sombre. Une nuit immobile où le vent
dans la tente ne parvient pas à couvrir le silence assourdissant du
lac. Un matin cristallin, lumineux où le lac transparent reflète
les sommets alentours.
En 2017
où je séjourne de nouveau au Ladakh durant trois semaines mais avec
un groupe de 10 femmes cette fois, le programme est le même. Mais
l'état de fatigue de plusieurs membres du groupe ne permet pas de
passer une nuit à 4300m. En accord avec les guides, je change le
programme. Nous irons au Pangong mais redescendrons passer la nuit
près du monastère de Chemrey. Cinq heures de voiture sur une route
sinueuse, escarpée qui se transforme régulièrement en piste, le
passage du col de Chang La à 5360m, vertige de l'altitude, neige et
vent glacé qui fait claquer les milliers de drapeaux de prières, le lac Pangong, puis quatre heures sur les mêmes pistes en repassant par le col. Le
long du chemin, la vallée de l'Indus d'abord, large et lumineuse,
frissonnante de peupliers, puis au fur et à mesure que l'on monte,
des paysages immenses, pierreux, vertigineux, des vallées austères
et poussiéreuses où se succèdent des camps militaires, enfin des
prairies rases et fraîches parcourues de torrents, des troupeaux de
chèvres pashmina, quelques yaks. Nous arrivons en début d'après
midi. Le paysage est limpide, infiniment ouvert. Les rives du lac,
la ligne des montagnes, les nuages qui projettent leur ombre, toutes
ces formes reflètent le sans forme, le chant des oiseaux évoque le
silence, le mouvement du vent rappelle l'immobile. Une heure
extatique d'une joie pure et large, disparue dans le ciel, dissoute
dans l'eau. Absente d'une absolue Présence.
Chacune a
vécu cette heure différemment. Intense frustration pour certaines
quand il a fallu quitter le lac. Évidence et gratitude pour cette
heure unique et hors du temps pour d'autres.
Est-ce
que nous ne faisons pas de telles folies quand nous sommes très
amoureux ? Rouler toute une nuit pour une heure et repartir
comblés ? Compter le temps, mesurer l'espace, suivre la raison
raisonnable n'a pas de sens pour la puissante nostalgie de l' UN.
Photo de Ghislaine Beretz
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