dimanche 16 septembre 2007

Marketing du Zen

Des siècles durant, l’homme a cherché l’élixir de vie – un produit obtenu par distillation qui procurait vitalité, bonheur et immortalité. Mais il a fallu des spécialistes américains du marketing pour découvrir le breuvage qui a échappé aux alchimistes du Moyen Age, aux mystiques arabes aux empereurs Ming. Car l’infusion qui garantit santé, harmonie et mérite moral existe bel et bien : elle s’appelle thé vert. Pour la culture commerciale américaine, le thé vert, c’est le yoga en bouteilles – ou en cannettes, confiserie, bougie, lotion, savon, parfum ou comprimés ; décrit comme calmant et doux, il se trouve paradoxalement au carrefour brulant de la philosophie New Age, de l’obsession de santé et de la chimie industrielle. Aux États-Unis, la spiritualité orientale tend à mélanger, hindouisme,bouddhisme et mercantilisme. Elle se traduit inévitablement par quelque chose à acheter et généralement quelque chose à manger. Seule la convergence entre harmonie et affaires peut expliquer l’invention de « nouvelles truffes zen au thé vert » et de « pandas en gelée au thé vert », des confiseries qui métamorphosent une vague idée de vertu en hypocrites morceaux de vice. En Chine et au Japon, le thé vert est une boisson chaude servie dans une petite tasse. Mais aux Etats-Unis, comme toutes les modes alimentaires, il prend une autre dimension : on le synthétise, on le sert dans des récipients géants et on le transforme simultanément en vecteur gras et en aliment diététique. A partir des années 60, des études ont suggéré que le thé vert diminuait le risque de divers cancers, faisait régresser les maladies cardiovasculaires, ralentissait le vieillissement, abaissait le taux de cholestérol, renforçait le système immunitaire, améliorait le diabète et l’arthrite, et faisait maigrir. Les conclusions, un peu rapides, sur la perte de poids permettent de se servir de cette plante comme estampille psychologique pour déculpabiliser la consommation d’aliments que nous adorons tout en sachant qu’ils sont mauvais pour nous. Ainsin, la version maxi du Frappuccino au thé vert de Starbucks est riche de 560 calories, sans compter la crème fouettée. Il fait pourtant pâle figure à coté de l’explosif Matcha au thé vert de Jamba Juice, une chaîne de franchise qui chasse sur les terres caféinées de Howard Schultz. Coca-Cola et Nestlé lancent Enviga, une boisson qui prétend contenir des calories « négatives » grâce aux extraits de thé vert. Si les produits apéritifs et confiseries au thé vert permettent de rester en bonne santé, les produits de beauté promettent le rayonnement extérieur et la paix intérieure. L’osmose avec l’univers est assurée si l’on commence la journée par se laver avec le savon au concombre et au thé vert de Dove, pour ensuite se parfumer au Green Tea Scent d’Elizabeth Arden, lequel « procure un sentiment de bien-être qui revitalise le corps et l’esprit ». Sans doute un jour, les scientifiques découvriront-ils que boire de l’eau est bon pour nous. Le thé vert apporte la sérénité, qu’on le renifle, qu’on le boive bruyamment ou que l’on s’y baigne. Son arôme flotte dans le hall des hôtels haut de gamme de la chaîne Omni, grâce à des machines à senteurs. La bougie parfumée au thé vert et à la menthe de l’Occitane crée un « sentiment de bien-être tranquille ». La bougie H2O +Zen détend et apaise l’âme « en se fondant sur les principes zen d’harmonie, de santé et de bien-être ». Comme il fallait s’y attendre, la transcendance arrive même avec la vodka, la bière et la liqueur aromatisées. Le message implicite de ces produits est que la consommation de thé vert fera de nous un être spirituellement parfait, mais aussi moralement supérieur. Cela parce que cette infusion a le bon sens de comporter le mot « vert » dans son nom. On ne sait pas comment la plante résiste au changement climatique, mais les sereins amateurs de feuilles moulues –à la différence des buveurs de café agressifs et surexcités- n’émettent que de minuscules quantité de gaz carbonique. La boite de saché de thé sur mon bureau renferme « une sagesse au-delà de la sagesse, capable d’illuminer le corps et l’esprit ». Je viens juste d’en boire et je suis convaincu que cela marche.


Jacob Weisberg in Slate, Washington vu dans le courrier international n° 860 page 6 du 26 avril au 2 mai 2007

4 commentaires:

laurence a dit…

Hélas, il y en a toujours pour exploiter les crédules, et quand c'est sous couvert de spiritualité, ça donne un peu la nausée! Comme disait ma grand-mère, un peu expéditive, "qu'ils aillent bouillir dans le chaudron du diable!".
Puisse t'il y rajouter quelques feuilles de thé vert!
Laurence

Anonyme a dit…

J'en suis à ma 2ème théière du matin... c'est grave, docteur?
J'aime son âpreté, sa... verdeur!
Bisous verts*

akidbelle a dit…

J'ai habite Washington pendant deux ans et j'ai fait une grande découverte:
1) quels sont les deux principaux produits d'export des US?
2) quels sont les deux produits qu'ils stockent le plus?
Jacques

gjmtenba a dit…

Je fais une cure de thé rouge chinois Haoling Diet, recommandé par une boutique de diététique.
Ce thé aiderait à perdre du poids.
Après 3 semaines : rien.

Environ 3/4 L / jour.

A Laurence : comme disent volontiers les Anglais : " Faites donc mieux que moi, et que le Diable vous emporte !."