mercredi 14 décembre 2022

À l'Est des Rêves, réponses even aux crises systémiques / Nastassja Martin

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Après Croire aux fauves paru en 2019 
et dont il a été question sur ce blog le 3 février 2021 :



La quatrième de couverture :

 "Après avoir travaillé en Alaska avec le peuple Gwich’in, Nastassja Martin a franchi le détroit de Béring pour entamer une recherche comparative au Kamtchatka. Pendant l’époque soviétique, les Even, peuple nomade d’éleveurs de rennes, ont été sédentarisés dans des fermes collectives. Après la chute du régime, beaucoup ont continué d’être les bergers des rennes qui ne leur appartenaient plus, les troupeaux étant aux mains d’entreprises privées. Depuis l’ouverture de la région en 1991, les anciens kolkhozes du Kamtchatka se transforment en plateformes touristiques.

En 1989, juste avant la chute de l’Union soviétique, une famille even aurait décidé de repartir en forêt, recréer un mode de vie autonome fondé sur la chasse, la pêche et la cueillette. Était-ce une légende ? Comment un petit collectif violenté, spolié, asservi par les colons avant d’être oublié de la grande histoire s’est-il saisi de la crise systémique pour regagner son autonomie ? Comment a-t-il fait pour renouer les fils ténus du dialogue quotidien qui le liait aux animaux et éléments, sans le secours des chamanes éliminés par le processus colonial ? Quelles manières de vivre les Even d’Icha ont-ils réinventées, pour continuer d’exister dans un monde rapidement transformé sous les coups de boutoir de l’extractivisme et du changement climatique ?
Dans ce livre, où les rêves performatifs et les histoires mythiques répondent aux politiques d’assimilation comme au dérèglement des écosystèmes, l’autrice fait dialoguer histoire coloniale et cosmologies autochtones en restituant leurs puissances aux voix multiples qui confèrent au monde sa vitalité."


Je suis très touchée par ce livre. Il fait alterner des passages de récit de la vie de l'auteur chez les Even, dans la famille de Daria et des passages d'analyse ethnologique avec lesquels au début j'ai eu plus de mal : style très universitaire, pas facile à suivre et parfois un peu jargonnant. Et puis, les passages de récit éclairaient le propos, on sent une vraie relation humaine avec Daria, Ivan et tous les autres et une grande honnêteté à reconnaître ses résistances à voir les éléments du terrain qui ne valident pas ses hypothèses de départ, à laisser son intuition et son coeur aller plus loin que sa pensée. Nastassja Martin fait partie de cette lignée qui à la suite de Philippe Descola fait remonter l'impasse de notre monde en crise climatique majeure non pas à l'emballement industriel du XIXème siècle mais à la conception même que nous nous faisons du monde qui sépare la nature et l'humanité. Lorsque nous sommes passés du UN où l'humain se vit comme partie d'un ensemble au DEUX qui oppose l'Homme et la Nature, nous sommes entrés dans un système où la relation avec ce que nous nommons la nature ne peut être que de deux ordres : exploitation ou protection. Les peuples premiers si on veut bien les entendre ne parlent pas de protection ou de respect de la nature. Ils parlent d'un autre lien ou exploitation et protection sont hors de propos. Et c'est très remuant, parce que cela nous oblige à "sortir du cadre". Ce livre donc, ne propose pas d'idées nouvelles, de solutions inédites, il nous prend par la main pour sortir de notre moule de pensée et voir à la suite de Levy Strauss"ce que ça fait" de penser les phénomènes autrement. Les Even sont embarqués jusqu'au cou dans le dérèglement climatique, ils en subissent les conséquence avant nous  de manière plus aigue et ils ont des choses à nous dire...

"À l'est, il y avait les rêves politiques effondrés, les rêves culturels déchus, les rêves théoriques disloqués. À l' est, il y a le soleil qui se lève et les yeux qui s'ouvrent sur un autre monde; il y a l'éveil. À l'est, il y a tous les mots qu'on cherche encore pour le dire." p 278

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