mercredi 2 avril 2008

Une spiritualité qui transforme (4)

(suite du 3)

La raison en est que si vous retirez de façon trop abrupte, rapide ou inepte la translation à un individu ou une culture, il en résultera, je le répète, une régression et non une révélation, une dépression plutôt qu’un soulagement. 
Deux exemples : En débarquant aux Etats-Unis, Chögyam Trungma Rimpoche, grand (bien que controversé) maître tibétain, est devenu célèbre parce qu’il répondait toujours à la question : quel est le sens du Vajrayana ? par ces mots : « Tout est Ati. » En d’autres termes, il n’y a qu’esprit éveillé partout où vous posez les yeux. L’ego, le Samsara, le Maya et l’illusion – rien n’a besoin de disparaître car rien de tout cela n’existe en réalité. Il n’y a que l’Ati, il n’y a qu’Esprit, il n’y a que Dieu, il n’y a partout que Conscience non divisée. 
Absolument personne n’a compris. Personne n’était prêt à entendre cette réalisation radicale et authentique d’une vérité qui existe déjà et toujours. Alors Trungpa a fini par introduire toute une série de pratiques « mineures » aboutissant à cette ultime et radicale « non-pratique ». Il a introduit les Neuf Yanas comme fondement de la pratique – autrement dit, il a proposé neuf étapes, ou niveaux de pratique, qui mènent à l’ultime « non-pratique » du déjà et toujours Ati. 
Beaucoup de ces pratiques étaient de simples translations, d’autres étaient ce que l’on pourrait appeler des pratiques de « transformation mineure » : mini-transformations par lesquelles le corps/esprit devenait plus ouvert à l’éveil radical déjà-accompli. Ces pratiques – de translations mineures – étaient nées de la « pratique parfaite », de la non-pratique, c’est-à-dire de la prise de conscience radicale, instantanée et authentique que, depuis le commencement, il n’y a que l’Ati. Ainsi, bien que le but préalable et le fondement permanent étaient l’ultime transformation, Trungpa a éprouvé le besoin de proposer des pratiques de translation et de transformation mineures afin de préparer ses élèves à l’évidence de ce qui est. 
Il s’est passé exactement la même chose pour Adi Da, autre maître influent (et tout aussi controversé). Il s’agit cette fois-ci d’un américain. A l’origine il enseignait uniquement le « chemin de la compréhension » : non pas un chemin pour atteindre l’éveil, mais une investigation du pourquoi de ce désir d’éveil. Le désir d’éveil n’est en fait que la tendance avide de l’ego de tout saisir. Ainsi c’est la recherche même qui nous empêche de le vivre. La « pratique parfaite » ne consiste plus alors à chercher l’éveil mais à enquêter sur la motivation de la recherche elle-même. De toute évidence le but de cette quête est d’éviter le présent et seul le présent détient la réponse : rechercher toujours, c’est manquer la cible. Vous êtes toujours déjà esprit éveillé, et par conséquent chercher l’esprit équivaut à nier l’esprit. Vous ne pouvez pas plus réaliser l’esprit que vous ne pouvez réaliser vos pieds ou acquérir vos poumons. 
Personne n’a compris. Alors Adi Da, tout comme Trungpa, a introduit une série de pratiques translatives et de pratiques de transformation mineures – sept étapes de pratiques, en fait – pour vous mener au point où vous pouvez vous dispenser de toute pratique et rester ouvert à la toujours/déjà vérité de votre condition éternelle et hors du temps qui était depuis le commencement absolument présente, mais ignoré de façon brutale par votre désir effréné de chercher. 
Quoi que vous puissiez penser de ces deux maîtres, un fait demeure : ils sont les premiers à avoir sérieusement tenté d’introduire aux Etats-Unis la notion de « Tout est Ati » – Tout est Esprit – par conséquent toute recherche d’esprit est précisément ce qui en empêche la réalisation. Et tous deux ont découvert que même si l’on est profondément éveillé à l’Ati, éveillé à la vérité radicale et transformatrice du présent, les pratiques translatives et de transformation mineures sont néanmoins un préalable nécessaire à la transformation ultime. 
Ma seconde conclusion serait donc, qu’en plus d’offrir une transformation radicale et authentique, nous devons toujours rester sensibles et attentifs aux nombreux modes de pratiques mineures et translatives qui sont eux aussi bénéfiques. Cette position plus généreuse en appelle à une « approche intégrale » de la transformation dans son ensemble, une approche qui honore et incorpore beaucoup de pratiques de transformation mineures et translatives qui recouvrent les aspects physiques, émotionnels, mentaux, culturels et communautaires de l’être humain. Cela en préparation et afin de devenir une expression de la transformation ultime vers l’état toujours/déjà présent. 
Ainsi, même s’il est juste de critiquer la religion purement translative (et toutes les formes mineures de transformation), nous réalisons qu’une approche intégrale de la spiritualité est une combinaison du meilleur de l’horizontal et du vertical, de la translation et de la transformation, du légitime et de l’authentique. Concentrons alors nos efforts sur une vue d’ensemble saine et équilibrée de la situation humaine.

(à suivre)



14 commentaires:

fishfish a dit…

La croix

Anonyme a dit…

Pas de doute, ça me parle, ça éclaircit un brouillard...
Oui, important !

Anonyme a dit…

Wah, quel texte fort...muscl�!
Et en plus, il sourit sur la photo!

S�rieux, c'est convaincant.
Et ce pi�ge sur la voie, de l'avidit� de saisie de l'ego pour �viter l'abandon, en plein dans le mille, bingo!

Ah! cet apparent paradoxe de la condition humaine...

Merci*

martine a dit…

Pour moi, trés cohérent et trés réaliste ...
Martine N.

Anonyme a dit…

Ouf! Ce texte est plus digeste que les précédents ( pour moi) , et même très nourissant...Quelle révolte au début !j'attends la suite...

akidbelle a dit…

Ca me rapelle Krishnamurti, qui ecrivait que si vous cherchez une methode pour atteindre l'eveil, c'est une methode que vous trouvez, pas l'eveil.
On peut posseder une methode, pas POSSEDER l'eveil.. (sinon, j'irais de ce pas en acheter 3 kg au supermarche du coin).
D'ou, peut-etre, ces "etapes" dont parle ce texte. Une fois que les etapes sont 100% possedees (super, j'ai eu mes galons de..), percevoir la difference entre la translation horisontale, et la verticale.. qui a toujours ete la, contemplant - en silence - l'agitation et le reste.
A+
Jacques

Anonyme a dit…

Une translation est un déplacement parallèlement à soi-même, en restant identique. Quel intérêt ? Quant aux maîtres zauthentiques, demandez à votre plombier combien il y a et combien il y a eu de véritables plombiers. Je parie qu’il vous fera la même réponse : lui et quelques autres.

akidbelle a dit…

Merci Jean-Marie, merci, c'est ce que j'apelle "une vue d’ensemble saine et équilibrée de la situation humaine".
Sans rire!
Quand on demande a quelqu'un combien il y a de personnes en haut de sa hiérarchie...
.. mais, comme pourrait peut-etre le dire Stephen Jourdain:

Que contemple une hiérarchie?

(Et c'est vrai que c'est tres difficile de trouver un bon plombier! Surtout de nos jours, ou meme le bon vieux temps n'est plus ce qu'il était).

A+
Jacques

Vincent a dit…

Passionnant !

fishfish a dit…

Oui C'est du lourd comme dirait Vincent! Qu'es ce qu'on attend pour etre heureux ???

Berit a dit…

magnifique texte.
Et voila le chemin,enseigne a Hauteville."Oui","ici et maintenant" ne sont pas assez.Il faut tout une preparation pour etre oui et ici et maintenant.

Vincent a dit…

"être oui" : superbe formule !

Anonyme a dit…

Tu as raison Vincent ! Tout a fait appropriée cette formule...

Anonyme a dit…

Etre " oui ", c'est la Vierge Marie, modèle du disciple chrétien.

gjm