vendredi 18 avril 2008

Sénèque, maître de vie ?


Ascète et banquier, précepteur et victime du prince, malade et médecin de lui-même, Sénèque est l’homme de toutes les contradictions, de tous les déchirements. De l’exil à la gloire, et jusqu’au suicide, il incarne, avant Epictète et Marc Aurèle, le stoïcisme vécu. Mais il n’est pas ce sage héroïque qui cultiverait pour lui seul une sérénité hautaine, voire inaccessible. 

Exempt de tout dogmatisme, volontiers éclectique, Sénèque tend vers le bien sans prétendre l’atteindre. S’il interpelle constamment les destinataires de ses œuvres, c’est d’abord avec lui-même, contre lui-même, qu’il dialogue, se bat. Dans sa langue, d’où vient la nôtre, il écrit pour se soigner, grandir, se rejoindre, nous rejoindre, en des termes d’une efficacité et d’une fraîcheur confondantes. 

En ce sens, lire Sénèque, c’est découvrir que la philosophie mérite parfois son nom, qu’elle peut être un chemin vers la sagesse. Deux mille ans plus tard, ses mots nous y aident encore. La preuve ? “Apprendre à vivre” s’est vendu ces dernières années à 40 000 exemplaires. Sénèque le stoïcien est devenu auteur de best-seller, et sa parole n’en finit pas de résonner.

LES CINQ CLES DE SA PENSEE
1 Redevenir maîtres de notre temps
« Seul le temps est à nous. » C’est notre bien le plus précieux et, pourtant, nous le gaspillons si volontiers ! La vie n’est jamais trop courte, jamais trop longue quand on sait en user, lui donner un sens et non plus simplement la remplir ou s’y accrocher à tout prix. La vieillesse même est « pleine de douceur si l’on sait s’y prendre avec elle ». Nous devons donc apprendre à nous concentrer sur le présent, au lieu de nous consumer dans le regret du passé et la crainte de l’avenir. Nous devons vivre chaque jour comme s’il était le dernier, c’est-à-dire le premier. Seule importe l’intensité du moment vécu, qui devient alors éternel.

2 “Réduire ses bagages”
Il nous faut également apprendre à nous simplifier, à nous dépouiller. « Regarde tout ce qui t’entoure comme les meubles d’une chambre d’hôtel. » Il ne cesse de dénoncer l’agitation laborieuse des occupatissimi (les gens très pris) que nous sommes, nos bougeottes en tout genre, nos indigestions de lectures, de nourritures extravagantes, de plaisirs éphémères et décevants, d’objets superflus. Nous nous étourdissons au lieu de nous rassembler, nous croulons sous le trop-plein au lieu de nous consacrer à notre perfectionnement moral, notre progrès spirituel.

3 Fuir l’opinion
Nous sommes esclaves de l’opinion du plus grand nombre, du « politiquement correct » toujours triomphant. Or, la foule nous fait du mal. L’erreur multipliée n’en devient pas plus vraie. Nous devons affronter le risque – la chance – de la solitude, nous adonner au loisir fécond, aux fréquentations nourricières. Loin de tout prosélytisme, nous ne devons parler qu’à ceux qui sont prêts à entendre. Sans provocations inutiles. « A l’intérieur, dissidence totale ! A l’extérieur, faisons comme tout le monde ! »

4 Edifier une “citadelle intérieure”
En distinguant « ce qui ne dépend pas de nous » (Epictète) de ce qui en dépend, nous apprendrons à moins souffrir des maux inévitables : 
la maladie, la souffrance, la mort, les coups du sort. Nous nous aguerrirons. Notre vertu, notre volonté, notre jugement, notre liberté intérieure demeureront en notre pouvoir. En effet, nous souffrons moins des choses que de la représentation que nous nous en faisons, victimes de nos préjugés. Seule l’adhésion à l’inéluctable nous procurera la véritable « tranquillité de l’âme », cette joie grave qui nous escorte jusqu’à la fin.

5 “La sagesse est ouverte à tous”
Attention : ce stoïcisme revu et revécu par Sénèque n’est pas une exaltation de l’égoïsme et de l’indifférence. Bien au contraire. Nous appartenons à un cosmos, un ordre naturel, un grand tout. Le sage, tout comme les autres, se doit à la communauté humaine : « Vivre, c’est être utile à soi. Vivre, c’est être utile aux autres. » Même dans sa retraite, il se consacre aux destinataires de ses œuvres, présents et futurs. Tous les êtres méritent le respect, même les esclaves, même les victimes des jeux du cirque, dénoncés en des termes inoubliables par cette conscience très en avance sur son temps. En tout pays, à toute époque, chacun peut s’anoblir s’il le veut : « De n’importe où, on peut s’élancer vers le ciel ! »

9 commentaires:

Anonyme a dit…

Je me souviens avoir été profondément marqué par ses textes, la présentation concise que tu proposes aujourd'hui, Valérie, ré-ouvre mon appétit de le lire

Anonyme a dit…

Merci Valérie

Anonyme a dit…

Merci, Valérie

Anonyme a dit…

Le temps a passé et rien n'a au fond changé ! Ce texte est toujours actuel.
Merci Valérie,
Karl

Anonyme a dit…

Ah les Classiques grecs et latins !
Quoi de mieux ou même d'aussi bon aujourd'hui ?

Nos dirigeants ne sont pas des Marc-Aurèle ; pourtant la décadence
se confirme...

NB : plutôt à classer dans le rayon philosophie ?

gjm

Anonyme a dit…

« A l’intérieur, dissidence totale ! A l’extérieur, faisons comme tout le monde ! ».
Quelle audace, courage, pour se fier à notre propre autorité intérieure, au risque de se tromper plus ou moins souvent et profondément, quitte à passer pour bête, ridicule, devant les autres.
Cependant, dans ces moments, je sens au moins que cette fidélité à moi-même me ramène à la Paix, le contentement de n'avoir trompé personne et vers la véritable Compréhension qui vient de sa propre profondeur.
Heureusement le Clown permet aussi d'alléger ce poids du monde avec la fantaisie de l'Etre...
J-P amigo-Sénèque-petto

fishfish a dit…

quel bonheur grâce à Arnaud d'voir des clefs pour comprendre enfin Sénèque et les autres...

Anonyme a dit…

Yes, Pranam devant Arnaud de tout mon être...
J-P gratitude-petto

Geneviève a dit…

Merci pour ce texte, Valérie. Moi aussi j'apprécie beaucoup Sénèque, assez courageux pour assumer ses faiblesses, tout en gardant les yeux levés vers la sagesse. Peux-tu nous rappeler l'origine de la tête sculptée : connaît-on l'artiste ? Il me semble qu 'il voulait représenter Sénèque au moment de son suicide commandé par son élève Néron, mais je fais peut-être confusion avec autre chose. Merci d'avance.