vendredi 11 avril 2008

Bobin

Voici quelques extraits de l'interview de Christian Bobin publiée dans "Psychologies" du mois d'Avril...

Vous ne cessez d'invoquer dans tous vos livres la grâce des vies simples. Qu'est-ce qu'une vie simple, au fond ?
_C'est une vie qui ne se soucie pas trop d'un ailleurs, ou plutôt qui va chercher l'ailleurs sous ses pieds. C'est une vie qui ne fuit pas le nécessaire, ni le trivial, ni tout ce qui revient chaque jour et peut être un peu harassant, comme faire les courses ou travailler. C'est une vie qui cherche partout la gaieté, même et surtout dans les moments obligés, inévitables qu'il aurait été si facile de vivre en somnanbule. C'est une vie qui ne renonce jamais à être surprise.

Cette capacité à percevoir des miracles dans la réalité la plus triviale, c'est aussi celle de votre écriture, non ?
_Oui, parce que la vie est tissée de banal. Quand on est enfant, on sait cela : on regarde les choses s'approcher, s'éloigner, on court d'une couleur à une autre, on vit comme dans une île aux trésors. Je ne sais pas pourquoi, quand on grandit, on se retrouve dans une grande et triste salle de conseil ! En ce qui me concerne, il y a des visages, des paroles, des rencontres qui m'ont frappé, parfois c'est la feuille d'un arbre qui tombe, la fuite d'un nuage dans le ciel... Des quantités de miracles qui, si je les avais pas notés, auraient glissé dans le néant du sans-mémoire, du sans-parole, du non-partagé. L'écriture garde la trace de ce qui était fragile, éphémère et si vital. Elle permet de maintenir le vol même de la vie.

Est-ce cela votre foi, savoir que les miracles ou l'accès à l'infini reviennent toujours ?
_Au mot foi, je préfère celui de confiance. Il me semble plus anodin. La confiance, c'est la posture du pêcheur à la ligne en attente, assis sur un talus. Le bien, l'inespéré, on ne sait pas comment les faire venir dans nos vies, et heureusement. On ne trouvera jamais de méthode pour cela. Je crois d'ailleurs que ce serait une erreur d'utiliser des spiritualités, des techniques orientales ou autres pour y parvenir. Mais la confiance ouvre les fenêtres de la maison. Une confiance de fond qui est là, même quand on croit l'avoir perdue. C'est donc comme si rien ne pouvait durablement m'enlever le coeur. Il y a des choses tragiques et épuisantes, mais je continue, avec parfois la poirtrine trouée, tôt ou tard un rosier vient à l'intérieur. C'est une expérience que j'ai faite mille fois : rien n'est noué qui ne puisse être dénoué. Je le crois d'autant plus que c'est souvent nous-mêmes avec notre intelligence confondante qui avons fait des noeuds à nos lacets de chaussures. Mais, comme une mère bienveillante, la vie revient et elle a des doigts si fins qu'elle sait défaire les noeuds les plus serrés. Je pourrais dire tout simplement que l'on n'est jamais abandonné. En dire plus serait commencer à construire du solide avec ce qui doit rester fragile, à changer la cabane de jardin en château, ce qui serait stupide, parce que la cabane a un immense avantage : elle est faites de planches mal jointes et donc l'air continue à y passer. Cet air qui vient tout bousculer, même ce que je dis et ce que je crois.

Vous dites : "Il y a une tristesse dans le monde, jamais aussi éclatante que dans l'euphorie des vitrines. Toutes ces choses que l'on nous presse d'acheter viennent en remplacement d'une seule chose qui est absente et qui ne coûte rien." Qu'entendez-vous par là ?
_Certaines vies tournées vers le spectaculaire ou la surconsommation me font penser qu'elles ont en elles quelque chose d'inconsolable, et que la société est aujourd'hui comme un enfant tellement chagrin qu'il ne songe plus qu'à se nourrir de sucre pour se consoler. De quoi voudrions-nous nous consoler ? D'avoir à accepter la mort en même temps que la vie sans doute, parce que les deux sont jumelles. Accepter que si l'on a la révélation de l'amour, on a celle du manque. Si nous avons la révélation de l'autre, nous avons aussi celle de la solitude. Peut-être dépensons-nous autant parce que nous ne voulons pas payer le vrai prix : accepter que la vie est irremplaçable, splendide et aussi qu'elle nous quitte à chaque seconde.

dernier ouvrage : La Dame blanche (biographie d'Emily Dickinson), Gallimard, 2007

7 commentaires:

Anonyme a dit…

Ouvrir les yeux du coeur et voir soudain l'Amour fleurir partout, tout le temps. Car la Vie est une fleur aux mille pétales qui ne fane pas ; et de cette Vie, bon Dieu, nous sommes les enfants !
Merci Valérie pour cet extrait qui me rappelle qu'il suffit juste... d'aimer.
Isabelle

Anonyme a dit…

J'ai fait paraître les mêmes extraits dans mon blog. Communion du coeur à travers cet écrivain qui sait tellement nous montrer l'extraordinaire au coeur de l'ordinaire, qui sait tellement bien nous parler des miracles qui nous entourent chaque jour à chaque instant, avec des mots si simples... alors ouvrons nos yeux, ouvrons notre coeur, aux merveilles qui nous entourent... Merci Valérie. Pascale

Anonyme a dit…

Les phrases de Bobin me révèlent à moi-même...Merci Valérie ! Sylvie

jean-françois l a dit…

oui,C.Bobin écrit des choses fortes,qui m'ont accompagné depuis une quinzaine d'années.La préservation d'une certaine innocence

Anonyme a dit…

Merci Valérie

Anonyme a dit…

Bobin? J'adore le lire et le relire depuis longtemps.
Merci Valérie pour ce rappel
CLo

Anonyme a dit…

"Peut-être dépensons-nous autant parce que nous ne voulons pas payer le vrai prix : accepter que la vie est irremplaçable, splendide et aussi qu'elle nous quitte à chaque seconde."
Cependant la vie sans l'Etre, est-elle une vie?
J-P etro-petto