samedi 25 février 2012

Le moment présent

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Celui qui veut faire de sa vie une prière ininterrompue doit apprendre à vivre dans le moment présent...

Dieu "a mis dans le cœur des hommes l’éternité" (Qo 3,11)... L’homme appartient à la fois au temps et à l’éternité. Le maintenant éternel de Dieu apparaît sur la terre quand le temps est à l’arrêt. Il y a dans l’histoire un instant éminent, le grand instant de l’incarnation, celui où temps et éternité s’unissent. Cet instant dote tous les autres instants d’une dimension d’éternité. Cela signifie que plus une personne est enracinée dans le Christ, plus son être est concentré dans le présent... Il s’agit pour chaque personne de vivre dans l’instant : elle vit alors en même temps dans l’éternité. Celui ou celle qui prend l’instant au sérieux et vit dans le temps du Christ, vit sur la terre déjà dans l’éternité...

Même si, en profondeur, nous sommes des êtres d’éternité, notre vie, à la surface, s’étend dans le temps. Un petit bout de vie à chaque instant. Chaque instant amène avec lui sa tâche. La vie devient très simple lorsqu’on vit dans l’instant. Par contre, si l’on cherche à embrasser plusieurs instants d’un coup, on se tend, on se fatigue...

Nous avons la certitude inébranlable que chaque instant exactement rempli porte fruit et a des conséquences imprévisibles... Chaque instant que l’on remplit d’un « oui, Père ! » donne un écho qui ne s’éteint jamais... La vie s’épanouit et s’enrichit quand grandit le nombre des instants qui sont remplis d’amour. Celui qui méprise l’instant ne parvient jamais à la plénitude de la vie...

Si l’instant est l’incarnation de l’éternité, cela signifie que la totalité de l’éternité est changée si l’instant est rempli du oui de l’amour. L’instant est comme le grain de sénevé, la plus petite de toutes les semences, mais ce qui en surgit lui est incommensurable...

Vivre dans le présent est une façon radicale de mourir à soi-même. Nous avons là une forme naturelle d’ascèse qui se trouve toujours à notre disposition puisqu’elle est une dimension de-la vie elle-même...

En disant oui à Dieu à chaque instant, on devient un instrument toujours plus souple dans sa main. L’attention pleinement éveillée avec laquelle on vit l’instant présent fait en outre que le travail va beaucoup plus vite, qu’on ne perd plus de temps et que même la planification de l’avenir et la préparation aux tâches qui attendent - c’est aussi un élément du présent - trouvent leur juste place.

L’instant présent est le lieu de rencontre de la vie éternelle et de la vie quotidienne. Celui qui vit dans le présent vit en Dieu et dans l’éternité. Chaque instant apporte une volonté concrète de Dieu, simplement pour cet instant. Lorsqu’on consent à cette volonté de Dieu, l’instant devient exactement ce que Dieu a voulu en faire : une petite partie de l’histoire sainte, de cette histoire du salut que notre vie doit devenir. Le présent est le seul endroit de notre vie où nous pouvons être unis à Dieu...

En prenant au sérieux l’instant et la tâche qui nous est attachée, nous affaiblissons notre moi égoïste, ce moi qui pense au résultat dans l’avenir : argent, position, succès, estime ; ou qui a peur que quelque chose du passé puisse avoir des conséquences désagréables. Cet égoïsme perd toutes ses chances si l’on vit dans Instant.

Celui qui vit dans le moment présent est, de façon mystérieuse mais tout à fait réelle, toujours en oraison. La voie la plus simple, qui convient à tous et qui ne gêne pas le travail qui, au contraire contribue à l’améliorer, consiste à s’ouvrir à l’instant, à accueillir l’instant présent comme un don de la main de Dieu. Dès que tu t’es complètement abandonné au Père comme Jésus l’était, ta vie devient prière... La prière est un état de complète disponibilité devant Dieu, disponibilité à un niveau profond qui consiste à vouloir exactement ce que Dieu veut que nous fassions, à n’être que l’instrument de Dieu, et rien d’autre. "Tu n’as plus de pouvoir sur le passé qui appartient à sa miséricorde et tu n’as aucune idée de l’avenir qui est confié à sa Providence ; il ne te reste donc que le présent" (J. Lafrance, Prie ton Père dans le secret). Vivre dans le présent nous fait découvrir la présence vivante de Dieu sous le voile des choses banales et quotidiennes. Il y a dans le maintenant une espèce de "Présence réelle" : Dieu y est véritablement présent, il n’y a que là qu’on puisse le rencontrer...

Il s’agit d’être présent à ce qui se passe maintenant et présent à son moi authentique. On ne peut vivre en profondeur si on ne vit pas dans le présent, et en vivant dans le présent, on trouve sa nature profonde. On pourrait dire que l’un des plus grands péchés de la personne humaine, c’est l’absence. Elle n’est pas disponible, elle ne touche jamais à l’essentiel. Au lieu de saisir la vie alors qu’elle passe devant elle, elle attend qu’elle se soit éloignée : elle arrive toujours trop tard. Ou trop tôt : elle n’attend pas que la réalité soit là...

Pour être présent, il faut être humble. Nous ne pouvons pas être présents à toute une ligne mais uniquement en un point. Ainsi que le dit un ancien starets, nous devons vivre "comme une roue". Moins la roue touche le sol, mieux elle roule. Elle vit au présent. Plus la surface du sol qu’elle touche se réduit à un point, plus vite va la roue. Si la roue voulait se sentir plus en sécurité et avoir plusieurs points de contact avec le sol, elle cesserait de rouler. Elle roule millimètre après millimètre, ne saute pas la moindre parcelle du chemin, ne néglige aucun instant ; elle pénètre et explore tout. Et pourtant, quelle vitesse...

Celui qui s’essaie à être présent dans le maintenant découvre avec joie que ce maintenant devient toujours plus plein et plus riche. Il y a une évolution et un dynamisme dans le présent. Il est l’expression d’une maturité et d’une liberté croissantes.

On ne peut vivre dans le présent à moins d’être conscient, attentif. Il s’agit d’être pleinement éveillé. Il faut s’engager totalement dans ce qu’on fait et ne pas diviser ses forces intérieures. Etre complètement disponible, comme Marie : "Voici la servante du Seigneur". Quoi que tu fasses, c’est une action sainte que tu accomplis avec respect et application. C’est une liturgie sainte et tu en es le liturge.

Celui qui parle de vivre au présent rencontre régulièrement une curieuse objection : "Je ne peux pas vivre dans le présent, je l’oublie immédiatement. Cela marche quelques minutes, puis c’est fini." De telles paroles montrent qu’on n’a pas encore compris de quoi il est question. On croit que, dans l’avenir, on échouera à vivre au présent. Mais il s’agit du présent maintenant, tandis que j’écris et que je lis. Si nous remplissons l’instant d’une présence complète, notre journée voit sans cesse apparaître de nouveaux instants qui nous invitent et nous exhortent à être totalement présents. Ne pensons pas toujours à l’avenir quand nous parlons de la vie au présent. Chaque instant a un message qui doit être pris au sérieux.

Un moyen qui peut nous aider à vivre de plus en plus dans le présent, c’est, paradoxalement, de penser souvent à la mort. C’est une caractéristique de la mort de nous ramener au présent... Dans un article sur la relaxation quelqu’un donnait le conseil de s’imaginer qu’on allait mourir le jour même. Un lecteur écrivait quelques semaines plus tard : “ Cela a bien marché : j’ai travaillé comme si tout devait prendre fin le soir même. J’ai laissé de côté des choses moins urgentes pour me donner totalement aux choses importantes.”

Celui qui s’essaie à vivre au présent remarquera bientôt que beaucoup de choses commencent à changer dans sa vie,... On est de moins en moins gêné par le manque de temps... La vie au présent libère une quantité inouïe de temps qui auparavant était perdue du fait de notre dispersion : on ne consacrait au travail que la moitié de son être... maintenant on travaille de tout son être et tout se passe en souplesse... Plus on travaille calmement dans le présent, plus le temps se montre élastique.

Vivre au présent ouvre la personne à ce qui est nouveau. Elle y fait l’expérience de son affinité avec le totalement nouveau, Dieu. On en vient aussi à porter un autre regard sur l’homme. On découvre l’originalité de chaque personne (parce qu’on y est tout à coup attentif). Chaque personne devient neuve, unique, importante... Celui qui vit dans la nouveauté vit aussi dans une éternelle jeunesse. Ce qui est propre à la vieillesse, c’est la routine, la répétition stérile d’habitudes durcies. Mais pour l’enfant tout est nouveau... il vit dans l’étonnement. Là encore, nous devons redevenir des enfants. On n’a plus besoin alors de comparer : tout est bien, tout est unique, tout a une plénitude intérieure...

Plus on vit dans le temps, dans le maintenant, plus on travaille comme Dieu, c’est-à-dire tout simplement en étant. On ne cherche pas par un tel travail à gagner quelque chose, à remplir ses greniers. On est tout simplement, on aime, on donne, on sert.

(Extrait de "Méditation chrétienne profonde", de Wilfrid Stinissen, carme suédois)


Merci à Hélène pour ce partage


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9 commentaires:

Olivier a dit…
Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.
Olivier a dit…

Merci Hélène pour ce rappel alors que je me disais "qu'est-ce que je vais bien pouvoir faire aujourd'hui..."

albertino pane e vino a dit…

Je me trompe ou il y a TOUT dans ce texte?

yannick a dit…

Oui, tout est dit. Magnifiquement!

Anonyme a dit…

chaque instant à un message qui doit etre pris au sérieux!

allez,à la pratique!

merci Hélène

guy bxl

christiane a dit…

Merci Hélène pour ce texte magnifique
pour un message bien connu , mais qu'il est toujours bon d'entendre ,
présenté différemment !
Est-ce que Wilfrid Stinissen est un contemporain ?

Anonyme a dit…

Wilfrid Stinissen est un contemporain : il a ou va avoir 85 ans.

Né en Belgique, il vit en Suède depuis 1967. Il est prêtre dans l'Ordre des Carmes déchaux et a "pas mal" écrit...

Bruno

christiane a dit…

merci Bruno !!

sevim a dit…

"Vivre dans le présent est une façon radicale de mourir à soi-même. Nous avons là une forme naturelle d’ascèse qui se trouve toujours à notre disposition puisqu’elle est une dimension de-la vie elle-même..."
Quelle beauté! merci. Sylvie