jeudi 1 mars 2012

Rencontres hors du temps

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"Eric Valli est parti sur le continent nord-américain à la rencontre d'hommes et de femmes qui un jour ont tout quitté pour vivre au plus près de la nature. Ils ont fui le stress des villes, le règne de l'hyper consommation pour revenir à l'essentiel, être libres, et vivre en harmonie avec eux-mêmes. Parmi eux, Colbert, un ancien golden boy devenu trappeur, Lynx, une ex égérie punk, qui vit depuis 20 ans dans une yourte et organise des stages pour apprendre à vivre comme au temps de la préhistoire, ou encore Mason, un fermier à l'ancienne qui vit en autarcie. De ces personnages hors du commun, Eric Valli dresse un portrait intime et très vivant."



J'ai été très intéressée par ce livre. Des photos superbes bien sûr. Le texte présente les différentes personnes rencontrées, leur parcours, leurs choix, mais aussi rend compte du temps qu'Éric Valli a partagé avec eux. On sent bien une rencontre, du temps passé ensemble, ce n'est pas juste "j'arrive, je prends des photos, je fais l'interview et je repars". J'ai apprécié aussi la position de l'auteur : ouvert, jouant le jeu lorsqu'il vivait avec eux, admiratif du courage de ses interlocuteurs mais se posant des questions sur la pertinence de leur démarche.

Il y a un côté fascinant chez ces "off the grid" : j'ai appris l'expression dans le livre et après un passage par le dictionnaire je dirais qu'elle peut se traduire par quelque chose comme "hors réseau". Elle part d'une réalité très concrète : ces gens ne sont pas raccordés au réseau électrique ! Et c'est très représentatif de l'existence qu'ils mènent, non pas contre le système, mais en marge, en essayant de dépendre le moins possible de celui-ci. Une des personnes qu'il a rencontrée Lynx Vilden, une femme superbe, pousse très loin dans les stages de plusieurs mois qu'elle propose l'indépendance par rapport au monde moderne. Elle reconnait cependant que ce qui fait qu'un petit groupe d'humain peut vivre dans la nature sauvage chacun fabricant ou prenant soi-même dans la nature ce dont il a besoin pour survivre, c'est avant tout sa capacité à être solidaire.


Il y a derrière certaines des démarches l'idée que la vraie liberté consiste à ne dépendre matériellement de personne, et surtout pas de la société moderne et cela me semble une définition erronée de la liberté. Ce livre a l’immense mérite de nous faire découvrir des gens décalés et de nous questionner.

Allez, un petit extrait avec quelques questions, justement, à propos des ces gens "hauts en couleurs, des pionniers, un peu fous " :

" Mais sont-ils plus farfelus que nos dirigeants politiques, banquiers, économistes, scientifiques et autres diplômés de grandes écoles qui nous incitent à vivre au dessus de nos moyens et de ceux de notre planète ? Plus fantaisistes que ceux qui nous vendent nos énièmes écrans plats, ordinateurs et téléphones portables ? Plus inconséquents que nos ingénieurs et grands patrons d'industrie qui continuent à concevoir des produits à obsolescence programmée ? Plus insensés que ces salariés de l'industrie financière qui, pour augmenter les bénéfices de leur société, vont jusqu'à faire perdre de l'argent à leurs propres clients ? Plus spécieux que nos stratèges géopolitiques qui, sous couvert de démocratie et de patriotisme, justifient nos guerres de ressources ? "

P 18-19

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4 commentaires:

Anonyme a dit…

"Off the grid" J'avais également découvert cette expression à Big Sur, quelque part sur la côte Californienne. Même si les post hippies que j'y avais rencontré étaient moins "jusqu'au boutistes". Mais peut être qu'entre la folie de notre modèle de société et cette utopie radicale, il n'y aurait pas une voie du milieu come celle proposée par un certain ardéchois du nom de Pierre Rabhi, qu'il nomme "la décroissance soutenable ou la sobriété heureuse"

Jean-marc

Anonyme a dit…

Je rejoins un peu Jean-marc. Ceux qui rejettent totalement la société moderne, ou ceux qui sont contrôlés totalement par elle sont pour moi des extrémistes.
Par contre je me pose la question de savoir comment objectivement définir ce qui est naturel et ce qui ne l'est pas.
Depuis qu'il existe, l'être humain a toujours crée des outils de plus en plus perfectionnées. Nier cet aspect reviens à nier la nature humaine.
Dans l'article on parle de ne pas utiliser l'électricité. Cela voudrait-il dire que tout ce qui a été inventé avant serait 'naturel', et bon par conséquence?
Mais pourquoi par exemple ne pas rejeter aussi l'agriculture, la roue, le feu, ou une lampe à huile?
La solution ne viendra pas en rejetant extérieurement la technologie, mais en étant intérieurement libre et non attaché.

Philippe.

Anonyme a dit…

Merci Corinne, je l'avais entendu à la radio et j'avais trouvé cela incroyable:
http://www.franceculture.fr/emission-pas-la-peine-de-crier-hors-du-temps-l%E2%80%99amerique-2011-12-05
Karl

Pierre Adler a dit…

Comment pouvez-vous affirmer qu'[i]l y a derrière certaines des démarches l'idée que la vraie liberté consiste à ne dépendre matériellement de personne", alors que Lynx "reconnaît...que ce qui fait qu'un petit groupe d'humain peut vivre dans la nature sauvage...c'est avant tout sa capacité à être solidaire"?

Il me semble que c'est bien au contraire la société industrielle qui vit de l'illusion que nous ne dépendons de personne: à chacun sa petite voiture et sa petite maison avec une barrière autour. Et qu'importe qu'en vivant ainsi on détruise graduellement toute l’écosphère (extinction accélérée des espèces, montée du niveau des océans, changement climatique
(c'est-à-dire conditions atmosphériques chaotiques et imprédictibles), raréfaction de l'eau disponible, désertification, pollution. Voilà, ce me semble, la situation terrible que Lynx et les autres personnes "hors réseau" refusent. C'est moins une question de liberté que de survie de l’espèce humaine et de bien d'autres espèces dont notre survie en fait dépend.