vendredi 30 mars 2007

Vision


"Le plus beau jour de ma vie - ma nouvelle naissance en quelque sorte - fut le jour où je découvris que je n'avais pas de tête. Ceci n'est pas un jeu de mots, une boutade pour susciter l'intérêt coûte que coûte. Je l'entends tout à fait sérieusement : je n'ai pas de tête.

Je fis cette découverte il y a dix-huit ans, lorsque j'en avais trente-trois. Tombée soudainement du ciel, elle répondait néanmoins à une recherche obstinée; pendant plusieurs mois, j'avais été absorbé par la question : qu'est-ce que je suis ? Que cette découverte se soit produite lors d'une promenade dans les Himalayas importe peu; c'est pourtant, dit-on, un lieu propice à des états d'esprits supérieurs. Quoiqu'il en soit, ce jour trés clair, trés calme, et cette vue du haut de la crête où je me trouvais, par-delà les brumes bleues des vallées, vers la plus haute chaîne de montagnes du monde, avec parmi ses cimes enneigées le Kangchenjunga et l'Everest, voilà sans doute ce qui rendit cette scène digne de la vision la plus haute.

Il m'arriva une chose incroyablement simple, pas spectaculaire le moins du monde : je m'arrêtai de penser. Un état étrange, à la fois alerte et engourdi, m'envahit. La raison, l'imagination et tout bavardage mental prirent fin. Pour la première fois les mots me firent réellement défaut. Le passé et l'avenir s'évanouirent. J'oubliais qui j'étais, ce que j'étais, mon nom, ma nature humaine, animale, tout ce que je pouvais appeler mien. C'était comme si à cet instant je venais de naître, flambant neuf, sans pensée, pur de tous souvenirs. Seul existait le Maintenant, ce moment présent et ce qu'il me révélait en toute clarté. Voir, cela suffisait. Et voir quoi ? Deux jambes de pantalon couleur kaki aboutissant à une paire de bottines brunes, des manches kaki amenant de part et d'autre à une paire de mains roses, et un plastron kaki débouchant en haut sur... absolument rien ! Certainement pas une tête.

Je découvris instantanément que ce rien, ce trou où aurait dû se trouver une tête, n'était pas une vacuité ordinaire, un simple néant. Au contraire, ce vide était trés habité. C'était un vide énorme, rempli à profusion, un vide qui faisait place à tout - au gazon, aux arbres, aux lointaines collines ombragées et, bien au-delà d'elles, aux cimes enneigées semblables à une rangées de nuages anguleux parcourant le bleu du ciel. J'avais perdu une tête et gagné un monde."

Douglas Harding in "Renaître à l'évidence" Le courrier du livre

6 commentaires:

Anonyme a dit…

Eclatant percutant je ne connaissais pas ce texte mais quelle evidence! quelle experience!
tout y est je n'ai pas fini de le lire et le relire ca me touche beaucoup eh bien ce blog aura toute la semaine ete a son plus haut niveau et ce en l'absence du maitre merci a toutes les deux
beaucoup beaucoup
jean claude

Anonyme a dit…

Cela rafraichit de relire ce texte magnifique de notre cher Douglas. Ce matin le mental me jouait des tours et cette reminiscence comme le souffle d'un ange a eu raison de lui ;
merci, Valérie.

Anonyme a dit…

Vivant une période difficile,je me pose très souvent la question:Qu'est ce que je suis?

fishfish a dit…

oui quel rafraichissement, la haut
sur les cimes ou tu nous guides
bon nous devons nous decouvrons pour ressentir.D' ailleurs ta soeur a pris un coup de froid, elle est dans l obligation de rester au campement.
avez vous lu "le mont analogique"de
Réne Daumal??

j-p gepetto a dit…

Pour ceux qui n'auraient pas lu le livre entier, le chapitre concernant les 8 étapes de la Voie sans tête, vaut vraiment, vraiment, vraiment d'être lu et médité.

Anonyme a dit…

Lors d'une conférence à Rouen sur "Vivre sans stress", j'ai eu la joie de voir le visage rayonnant de Douglas. Au-delà de ce thème relativement commun, je ne m'attendais pas à une rencontre si bouleversante.Depuis, j'ai également "perdu la tête"!;-)

Douglas s'en est allé, mais la VST est éternelle.

Merci de tout coeur d'en témoigner.:-)