J'ai bien aimé ce récit pour sa simplicité. Encore une fois c'est une rencontre avec d'autres humains tellement différents qui nous ramène à la singularité de nos existences parmi d'autres possibles. C'est pour moi une manière de donner une proportion aux événements, de les situer relativement.
Voici la présentation de l'éditeur :
"De Minembwe à Uvira, lieux difficiles à situer pour le profane sur une carte de l'Afrique, Lieve Joris a marché pendant sept semaines dans le Congo de l'Est, non loin du Burundi et du Rwanda. Un pays de collines vertes, de la juxtaposition de peuples cultivateurs et de peuples éleveurs de vaches. Une région peu peuplée, résistante, restée à l'écart de la colonisation belge ; une région où se côtoient des ethnies et des tendances politiques pas forcément d'accord entre elles. Un petit bout de carte qui est pourtant éminemment important dans la géopolitique de l'Est africain. Comme pour mettre un point final, après des années, à tout son travail de recherche affective, d'approche des contradictions, de suivi des conflits, d'empathie pour les habitants d'un pays que ses ancêtres ont colonisé, Lieve Joris a réalisé quelque chose de très simple : marcher de village en village, accompagnée d'un guide et de porteurs. C'est cette aventure qu'elle nous raconte dans 'Les Hauts Plateaux'."
Et voici un extrait :
« Un feu de bois brûlait à l’intérieur. Dans un coin de la pièce, du maïs trempait dans un pot en terre. Mbiyo Mbiyo nous offrit une chaise et lui-même prit place sur un tabouret, les jambes relevées. Sans me quitter un instant des yeux, il posa des questions en kinyamulengue à Kizeze. Avais-je une autorisation pour discuter avec des gens ? Que ferais-je des choses qu’il me racontait ? Kizeze le rassura, lui parla de David, le neveu du colonel, qui m’accompagnait en voyage.
Une femme apporta un plat en osier sur lequel se trouvait une grande bouteille thermos avec du thé et une deuxième avec du lait. Elle était jeune et avait noué un mouchoir à fleur sur sa tête, comme il est d’usage pour les femmes mariées. Elle était originaire du Rwanda, avais-je appris. La regardant de ses yeux intenses, Mbiyo Mbiyo dit : « Elle est mon ange. »
Elle lui avait donné sept enfants. Au total, il en avait vingt-trois, de quatre femmes. Lui-même était le deuxième fils que son père avait eu avec sa deuxième femme. Son frère aîné était mort subitement en gardant les vaches. Il avait appris à lire et écrire le swahili chez les missionnaires de la vallée. Quel âge il avait, il ne le savait pas exactement. Il croyait qu’il était né en 1910 mais un jour, pendant la transhumance, son acte de naissance était tombé à l’eau et sur le nouveau qu’il avait reçu était indiqué 1920.
Deux hommes étaient entrés ; le dos appuyé contre le mur, ils écoutaient la conversation. Ils avaient des machettes – des ouvriers sans doute. Kizeze traduisait docilement. Mbiyo Mbiyo, qui avait parlé tout un temps en gardant ses yeux perçants dans les miens, dit maintenant qu’il voulait lui aussi me demander quelque chose.
J’avais l’habitude des choses étranges que voulaient savoir les vieux hommes des hauts plateaux, mais les questions de Mbiyo Mbiyo dépassaient tout. Comment se faisait-il qu’il y eût des Blancs et des Noirs ? Y avait-il des Belges qui pouvaient tuer une bête sauvage avec une lance ? Quelles tribus vivaient en Belgique ? Avions nous aussi des Hutu et des Tutsi ? Et en Asie, quelles tribus habitaient là ? Combien y avait-il de pays au monde ? L’Océanie était-elle à l’origine attachée à l’Union soviétique ?
Mbiyo Mbiyo lisait les réponses sur mes lèvres, comme s’il ne se fiait pas totalement aux traductions de Kizeze. Il n’avait pas terminé l’école primaire ; remâchait-il ces questions depuis lors ? Une encyclopédie pour enfants, voilà qui serait utile dans cet environnement. Mais dans ses questions filtrait aussi, de la même manière que dans celles des vieux hommes sur la colline de Bijombo, une certaine ironie – comme s’il se payait ma tête. »
Les hauts plateaux
Lieve Joris
Actes sud /aventure p 107 à 109
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