dimanche 3 octobre 2010

Le sel du désert : extrait 2



Odette du Puigaudeau et Marion Sénones


« « Tout le monde gagne beaucoup d’argent avec le sel » disait Loud. C’est vrai à condition de considérer les choses en Saharien pour qui le temps est sans valeur et qui se trouve parfaitement satisfait d’un vêtement de coton et d’un ordinaire de riz ou de mil, de dattes sèches et de quelques verres de thé, le méchoui constituant l’extra des jours fériés . Un homme peut se tenir heureux et bien portant avec cela tant qu’il ne se met pas à imaginer autre chose. Et les Maures n’imaginent rien que ce qu’ils ont coutume d’avoir. Dans un pays où un mouton se paye 15 à 25 francs, 1 kilo de mil 1 franc et quelques centimes, où un chef peut avoir une selle de luxe pour 50 francs, où une percale japonaise à belles rayures satinées, tout ce qu’il y a d’élégant et solide, va chercher dans les 3 francs le mètre, des bénéfices modestes suffisent à un seigneur pour assurer le bien-être de sa famille, de ses serviteurs, de ses protégés et du marabout voisin dont il veut obtenir la bénédiction.

Vous-même, étranger, vous pourrez, pour un billet de 1000 francs, avoir une tente en coton blanc tissée à la main, doublée, brodée au pignon, avec ses supports, ses cordes et ses piquets, une tente de grand chef capable d’abriter vos enfants et les enfants de vos enfants. Ajoutez 500 francs, et vous la meublerez pour longtemps de nattes, de couvertures en laine ou en peaux d’agneau et de coussins en cuir peint. Que désirer de mieux ?

À ce sage équilibre entre les désirs, les dépenses et les recettes, les Européens, de la mer des indes à l’Atlantique, s’efforcent généralement de remédier par l’acheminement progressif vers un standing de vie plus élevé, par l’introduction d’objets inutiles ou même nuisibles, par mille tentations harcelantes, par mille habitudes qui flattent d’abord et tyrannisent bien vite. On a déjà obtenu que des nègres accoutumés au casque de liège attrapent un coup de soleil s’ils sortent nu-tête comme quand ils étaient petits, que d’autres préfèrent rôtir sous des toitures de tôle plutôt que de se tenir au frais à l’ancienne mode, sous le chaume ou le pisé, qu’ils boivent du pernod et mangent des conserves, et que le phonographe remplace pour beaucoup les tam-tams qui ne coûtaient rien que le plaisir de taper sur des tambours et de danser au clair de lune.

Ainsi on peut espérer voir s’élargir peu à peu le fossé entre la richesse accrue et la pauvreté aggravée, en même temps que grandiront les besoins, les exigences, l’égoïsme, l’envie et les tracas. Alors on pourra vraiment parler de progrès. »


Le sel du désert

Odette du Puigaudeau

Ed Phébus Libretto p 80-81





1 commentaire:

Laurence a dit…

Visionnaire, cette femme!
Nous réapprendrons sans doute, de gré ou de force, à nous passer du superflu et à revenir, comme le dit si bien Pierre Rabhi, à une sobriété heureuse.