J’ai honte de le dire mais le moment le plus intense de ce voyage en Inde s’est déroulé pour moi, au guidon d’une Royal Enfield Rocket 350.
J’aurais pu tricher et vous raconter les yeux limpides, le sourire joyeux et le verbe délicieusement iconoclaste de Swami Atmananda , vous parler de la montagne, de sa présence et de sa force qui m’ont tenu éveillé une nuit entière avec la sensation de vibrer à 15 cm au dessus du matelas.
J‘aurais aussi pu vous faire partager la peur ressentie en passant à proximité du mâle dominant d’un groupe de singes ou de ces deux magnifiques atèles sur le chemin des grottes, et la tendresse que m’a inspiré le geste d’une femme caressant la vache que son mari trayait au petit matin.
J’aurais pu dire aussi les larmes de mon cœur touché par le récit des grands disciples que nous avons côtoyés.
Non c’est bien de moto qu’il s’est agi. Pendant tout le séjour, j’ai l’impression d’avoir guetté le chant rond et tranquille des Royal Enfield. Dans la nuée des motos et des rikshaw, elles font l’effet de grands oiseaux, qui suivent un autre tempo, comme une ligne de basse. D’une présence éclatante et singulière et pourtant terriblement quotidienne, témoins vivants d’un autre temps, d’un autre rythme.
Je suis parti avec le projet d’en louer une, et je savais qu’avec le programme proposé, ce ne serait pas facile. Afin de voyager discrètement le motard qui vous parle a proclamé toute sorte de bonnes intentions spirituelles, a fait le bon disciple : méditations, yoga, chants, puja étude des dieux indous, afin de ne pas être découvert. Et en parallèle, il a abordé discrètement les possesseurs de Royal Enfield qui lui ont indiqué le spécialiste de la marque sur Tiruvanamalai, qu’il est allé voir pour réserver 2 motos (il savait qu’au moins un motard se laisserait aussi entraîner, et que partager ce moment rendrait le bonheur plus complet).
Le jour « J » , en compagnie de Dimitri, les motos nous ont été remises après une explication succincte de leur fonctionnement : frein au pied gauche, vitesses au pied droit et se passant dans l’ordre inverse. Après un coup de chiffon sur la poussière des selles nous voilà partis, sans laisser le moindre nom, permis, papier…Quelques mots, un regard, la confiance et la responsabilité ont une autre signification en Inde. Alors que Dimitri prenait tout de suite la mesure de sa monture, il m’a fallu caler plusieurs fois, et je le confesse, demander à un indien de la redémarrer pour arriver à passer les vitesses et freiner…
Ayant dompté mon destrier, parfaitement vigilant à ma droite et ma gauche, arborant un sourire triomphant je suis allé cherché ma belle Sandrine. La suite s’apparente plus à une balade en tapis volant qu’à un tour en moto. Têtes libres, discutant dans un vent de 40 KM heure qui nous rafraîchissait, bien assis sur le couple étonnant de la Rocket, nous regardions défiler les palmiers, vaches , rizières écoliers tout sourire, femmes revenant des champs. Les autres véhicules semblaient lointains, comme appartenant à une autre galaxie : terrifiants camions de canne à sucre, cars bondés, 125cm3 transportant une famille, ambassador prestigieuses et même Dimitri plus rapide évoluait différemment.
Cela a été aussi l’occasion de faire le tour d’Arunachala, de s’en éloigner, de changer de point de vue…
Je ne m’explique pas pourquoi cet instant a été si pur, le fil ténu qui m’a conduit à ces motos, la confiance du « royal enfield specialist », l’étrangeté de la machine, la douceur du vent dans les cheveux, le partage de ce moment avec Sandrine et Dimitri, ou simplement la réalisation d’un rêve enfoui, qui a trouvé son chemin vers la réalité…
Finalement je n’ai pas tant honte que ça.
9 commentaires:
Merci Jean-Baptiste. Beau récit.
le monde a perdu un écrivain avec toi !! j'adore ton témoignage... normal, suis motard aussi.
Johannes
Pour le prochain voyage en Inde, circuit en Royal alors Jean Baptiste ? :-)
Karl
Superbe démonstration d'être vrai, et magnifiquement raconté. J'adore.
:)
beau récit, merci de nous le faire partager
Didier (Gendy)
tout bonnement scandaleux , je dirais même plus outrageusement spirituel))))))
Bel exemple de "non dualité " !!
Bravo et merci!
AH! ça fait plaisir de vérifier que la moto que je pratique aussi mais pas sur des anglaises, est liée de façon assumée à la spiritualité.
Jean
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