Même les plus grandes marques peuvent souffrir de retard à l'allumage. Alors que les motos néorétro font un malheur, Honda vient seulement d'importer en Europe la CB1100, déjà commercialisée depuis quatre ans au Japon, où elle remporte un réel succès.
Or, s'il est une machine qui peut se prêter à la réincarnation, c'est bien la CB. Ce monument de l'histoire du deux-roues, dont les motards parlent encore avec des trémolos dans la voix et dont les collectionneurs s'arrachent à prix d'or les modèles survivants, a marqué la naissance du "gros cube" moderne.
Lorsqu'elle surgit, en 1969, avec ses quatre cylindres en ligne, la CB750 n'est pas seulement puissante et racée. Elle est sûre (frein à disque à commande hydraulique à l'avant, partie cycle très rigoureuse) et offre un niveau de fiabilité et des choix technologiques inédits. Les motards de l'époque n'en reviennent pas devoir une marque japonaise quasi inconnue débarquer avec une "bécane" affichant d'emblée une cylindrée de 750 cm3. Les augustes anglaises, italiennes et américaines auront besoin d'années pour s'en remettre.
Pour assurer la descendance de la CB750 "Four", le numéro un mondial de lamoto a eu le bon goût d'éviter de se lancer dans une opération de reconstitution historique. La CB1100 présente une vision du rétro très bien léchée mais assez authentique, comme en témoigne le choix d'un moteur refroidi (essentiellement) par air. En s'imposant cette contrainte, Honda respecte les mânes de celle que l'on appelait jadis la "quatre pattes". Ce qui a imposé de mettre au point un système d'injection complexe pour contenir la consommation et respecter les normes d'émission de polluants. En contrepartie, la sonorité de la mécanique est largement préservée, les cylindres portent de fines ailettes de refroidissement, à l'ancienne, et l'oreille peut percevoir, à l'arrêt, le bruit mat des cliquetis du métal qui se refroidit. Les esthètes apprécieront.
Du modèle de référence, on retrouve nombre de caractéristiques. Les amortisseurs arrière à deux bras, la fourche avant télescopique classique, les deux compteurs analogiques à fond vert, le phare délicieusement rond, la selle plate, le chrome des garde-boue et des jolis clignotants vintage. Le réservoir anguleux (comme celui de la CBX1000) ou encore le pot d'échappement "4 en 1" (hommage à la CB400) adressent d'autres clins d'oeil à une époque révolue oùchevaucher une moto constituait un rite de passage vers l'âge adulte.
Pour le reste, la CB1100 est une création tout ce qu'il y a de plus moderne. Le freinage couplé (automatiquement réparti sur les deux-roues) est d'une remarquable efficacité, et la partie cycle, sans reproche, contribue à en faire une machine au comportement très sain. Malgré un poids (248 kg) assez respectable, elle est à son affaire en usage urbain et se pose sans difficulté sur sa béquille centrale.
MYTHE DE LA CB750
Bien plus facile à piloter que ne l'était, il y a plus de quarante ans, son aînée, cette machine a changé de caractère. Ce n'est plus une sportive à la mode seventies mais un roadster au tempérament moins volcanique. En ce sens, la CB1100 ne déroge pas à l'approche du constructeur japonais, numéro un mondial, qui privilégie depuis longtemps les modèles homogènes et bien élevés, quitte à pécher par manque d'originalité.
Les nostalgiques purs et durs regretteront ce parti pris. La CB1100 reproduit la position de conduite particulière, buste droit, des pilotes des motos d'autrefois, mais, malgré une cylindrée revue à la hausse, elle ne délivre ni la sonorité rauque ni les accélérations vigoureuses - voire brutales - de ses aînées. On aurait aimé que des roues à rayons soient disponibles au catalogue et on se serait volontiers passé de certains revêtements plastiques un peu "cheap". Pourtant, on se gardera d'emboîter le pas des gardiens du temple qui se sentiraient orphelins du mythe de la CB750. De facto, la CB1100 (10 990 euros) se destine à des amateurs au moins quadragénaires désireux de respirer un parfum venu de leurs vertes années mais soucieux de chevaucher, y compris pour un usage quotidien, une monture qui ne leur impose pas de sacrifier confort, sécurité et tranquillité d'esprit.
Telle est la loi de la néorétromania, domaine dans lequel les marques européennes ainsi qu'Harley-Davidson ont pris quelques longueurs d'avance. Ceux qui aiment le cambouis sur les mains, les vitesses qui craquent, les vapeurs d'essence et les motos qui vibrent comme une corde de contrebasse savent que, pour ce genre de sensations, il n'y a rien de mieux qu'une vraie moto ancienne.
Jean-Michel Normand
Le Monde
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