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Mes premiers souvenirs de la musique remontent à mon plus jeune âge. Blottie sous le piano de ma mère, je me laissais habiter par les sons. Enveloppée dans un temps au goût d'éternité, je saisissais à quel point le temps chronologique n'était pas le seul existant. « Pourquoi les boussoles n'ont-elles pas, elles aussi, une aiguille dirigée vers le ciel ? », m'interrogeais-je. Très sensible, j'avais du mal à m'incarner et à trouver ma place, aux côtés d'un frère jumeau, d'une soeur aînée et d'un petit frère. Je considérais que ce monde, dans lequel je me sentais de trop, m'était étranger et lourd. Mais, sous ce piano, j'avais le sentiment singulier que je pouvais moi-même devenir son : qu'il était possible d'être autre chose que ce que je percevais de moi-même. J'étais en lien... avec ce qui en moi était plus grand que moi : une Présence.Ma rencontre avec le Christ n'a pas été tant le fruit de cette expérience spirituelle que celui touchant à la raison : un jour, j'ai compris qu'on n'argumentait pas Dieu. Longtemps fascinée par l'intellect, j'ai finalement réalisé qu'il faut sortir du raisonnement pour entrer dans une expérience d'un tout autre ordre. Ce lâcher-prise m'a longtemps fait peur, si bien que je me rassurais avec de belles phrases, de beaux auteurs, une bonne maîtrise des choses. Mais l'attitude juste était celle où je quittais le commentaire sur les autres, sur moi-même, et sur ce que je faisais. Maurice Zundel nous dit que,dans la contemplation d'un paysage, si l'on s'observe en train de regarder, le spectacle est terminé.Je dis souvent que je suis la preuve de l'existence de Dieu ! Tout au long de ma vie, j'ai eu des réponses du Christ dans les épreuves ou lorsque je pensais qu'il ne m'aimait plus. Il est passé par des hommes, des femmes, pour me parler, me consoler, me rassurer. Un concert donné en Zambie fut un événement fondateur dans mon parcours. Je me vois encore traverser l'immense hangar empli de gens. Au fond, un piano droit, très mal en point, laissant apparaître une corde cassée. "Seigneur, il faut que tu quittes la salle. Car, je le sais,ce concert va être raté." ai-je prononcé dans le silence. Au plus profond de moi, j'ai entendu clairement: "Toi tu joues, moi je touche les âmes." Une grande paix intérieure m'a envahie. A la fin du concert, me tournant vers le public, j'ai vu tous ces visages, baignés de larmes. Ce jour-là, j'ai compris que je n'étais que Son instrument, tout comme le piano n'est que l'instrument d'une transcendance. Ce jour-là j'ai donné mes mains à Dieu. J'ai souvent été attirée par le carmel... mais sans cesse, dans ma carrière de pianiste, j'ai été ramenée à ce fil, à cette mission, à cette question: "Qu'as -tu fait de ton talent ?".........Jouer du piano implique un choix de vie ou de mort puisque chaque son est une ode à la vie. Comme disait Jean de la Croix: "Si votre parole n'est pas plus belle que le silence, ne la prononcez pas." Il en va de même pour la musique. L'état intérieur dans lequel le pianiste devrait être nécessite tout un chemin : être uniquement écoute, silence face au son porteur de l'invisible. Car le son émane du silence pour y retourner. Silence comme lieu d'émerveillement à partir duquel la musique peut naître.
"extrait de l'interview par Anne-Laure Filhol ( photo Jacques Graf/divergence ).
Merci Jean-François.
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7 commentaires:
Superbe témoignage, merci!
Je prend en pleine figure cette phrase : "Qu'as-tu fait de ton talent?"
Cela m'impacte profondément...
Gracias Corinne.
JP Gepetto
C'est un des témoignages les plus forts que vous nous ayez transmis... Aussi clair, aussi profond... J'ai été bouleversée
Marie-Charlotte
Une boussole avec une aiguille dirigée vers le ciel !
superbe idée
Ce témoignage me touche profondément et je pleure
C'est si vrai si juste
Merci beaucoup
Monique
j'ai lu la suite :
la musique :
un son : naissance ... vie ... mort retour au silence
Dieu je ne connais pas vraiment, j'ai un soupçon de compréhension : Dieu n'existe pas, Dieu est ou Dieu n'est pas.
Merci.
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