mercredi 5 septembre 2018

Un déluge de feu / Amitav Ghosh

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Dernier tome de la trilogie de l'Ibis, Un déluge de feu se situe durant la première guerre de l'opium. La Compagnie des Indes Orientales s'est enrichie - et l'Angleterre avec elle - du commerce de l'opium qu'elle fait pousser au Bengale obligeant les petits paysans à remplacer leurs cultures vivrières par la monoculture du pavot. Les usines de la Compagnie traitent ensuite les pavots et les bateaux affrétés toujours par la Compagnie vont vendre les caisses d'opium en Chine, principalement dans le port de Canton. En 1838 l'empereur de Chine déclare le commerce de l'opium illégal et c'est l'armée anglaise qui au nom de la liberté et des principes du "libre échange" va attaquer les ports chinois par bateaux  et écraser l'armée chinoise nombreuse mais moins bien  équipée. Les anglais réclament entre autre quelque 6 millions de dollars espagnols en dédommagement des caisses d'opium  de marchands anglais, américains, indiens (parsis de Bombay) détruites par les autorités chinoises ainsi que la cession d'une îles dans le delta de la Rivière des Perles, l'île de Hong Kong à cette époque presque complètement sauvage. Leur victoire militaire à peine établie, les navires  bourrés de marchandises et d'opium foncent sur les ports...

Voici un extrait. Kesri est le havildar ( l'équivalent du grade de sergent)  d'un régiment de sepoys (soldats de l'armée britanique d'origine indienne. On dit aussi cipaye). Il s'adresse à Baboo Nob Kissin,  gomusta (agent indien d'un commerçant de la Compagnie chargé de l'approvisionnement) sur l'Ibis. Cet homme étrange est habité par le Dieu Krishna.

"Sans un autre mot, Kesri emmena Baboo Nob Kissin près du bastingage et désigna d'un geste les immenses colonnes de fumées qui s'élevaient au dessus des forts.
Pundiji, à quoi tout cela sert-il ? Quelle en est la signification ? Le savez-vous ?
Baboo Nob Kissin hocha la tête. Oui, bien sûr, je le sais, répliqua-t-il comme s'il s'agissait de la chose la plus simple, la plus évidente du monde.
Alors dites-moi, pundiji, demanda Kesri humblement. Je voudrais moi aussi le savoir.
 Zaroor beta ! s'écria Baboo Nob Kissin, enthousiaste. Je vais certainement vous le dire : ce que vous voyez, c'est le commencement de pralaya - le commencement de la fin du monde.

Arré ye kya baat hai ? s'exclama Kesri, incrédule. Que racontez-vous là ?

Un sourire béat illumina le visage de Baboo Nob Kissin : Pourquoi cela vous choque-t-il, mon fils ? Ne savez-vous pas que nous sommes dans le Kaliyuga, l'âge de l'apocalypse ? Vous devriez vous réjouir d'être ici aujourd'hui, combattant pour les Angrezes. C'est le destin des Anglais que de provoquer la fin du monde. Ils sont juste les instruments de la volonté des dieux.
Baboo Nob Kissin leva une main pour la pointer sur le Nemesis en train de doubler les forts enveloppés de fumées noires.

Dekho - regardez - , à l'intérieur de ce navire brûle le feu qui réveillera les démons de l'avidité cachés dans tout être humain. C'est la raison pour laquelle les Anglais sont venus en Chine et en Hindoustan : ces deux contrées sont si peuplées que si l'avidité s'y répand, elle consumera le monde entier. Cela a commencé aujourd'hui. Et ne se terminera que quand l'humanité entière, unie dans une grande folie d'avidité, aura dévoré la terre, l'air et le ciel.

La tête de Kesri lui tournait. Je suis un homme simple, pundiji, dit-il. Je ne comprends pas. Pourquoi devrais-je être présent au commencement de la fin ? Pourquoi devriez-vous être ici aussi ?
N'est-ce pas clair ? s'écria Baboo Nob Kissin d'un ton très surpris. Nous sommes ici pour aider les Anglais à accomplir leur destin. Nous sommes peut-être de petites gens, mais nous sommes fortunés en ce que nous savons pourquoi nous sommes ici, alors qu'ils l'ignorent. Nous devons faire notre possible pour les aider. C'est notre devoir, ne le voyez-vous pas ?
Kesri secoua la tête. Non, pundiji, je ne le vois pas.
Baboo Nob Kissin lui posa la main sur le crâne comme pour le bénir.
Ne comprenez-vous donc pas, mon fils ? Plus tôt viendra la fin, mieux ce sera. Vous et moi avons la chance d'avoir été choisis pour servir ce destin : les êtres du futur nous en seront reconnaissants. Car ce n'est que lorsque ce monde-ci touchera à sa fin que naîtra un monde meilleur."

Ed 10/18 p 687

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4 commentaires:

Anonyme a dit…

Merci Corinne,
Tres bien ecrit, le Kalijuga, ceci explique cela ...
Karl

Sandrine a dit…

Bon ben voilà, allons-y gaiement finalement vers cette apocalypse... ;-)
De toute façon, nous ne sommes pas grand-chose dans cette affaire, non?
Et attachons quand même nos chameaux!...

dimitri banzet a dit…

Oui effectivement il y a des périodes où on peut imaginer que plus vite se sera fini, mieux çà sera pour la suite, compatible avec le faite de vouloir prendre soin de la vie .
Certains moments, tout peut être imaginé. ( mise en image intérieurement )
Le tout comme toujours est de savoir où est sa place dans cette Existance sur terre en mouvement .
Etre et avoir une place à Hauteville serait dans mon besoin par exemple;)


dimitri banzet a dit…

Car seule l'évolution spirituelle possible en l'humain m'interesse sur terre, le reste est épiphénomène et ne me donne pas envie. ( juste reculer l'essentiel en faisant autre chose ? non merci )