mardi 24 mars 2020

Venise




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"Je vous écris d’une ville coupée du monde. Nous vivons ici dans une parfaite solitude qui n’est pas le vide. Nous prêtons chaque jour un peu moins attention à ce que nous ne pouvons plus faire car Venise, en ces jours singuliers, nous ramène à l’essentiel. La nature a repris le dessus. L’eau des canaux est redevenue claire et poissonneuse. Des milliers d’oiseaux se sont installés en ville et le ciel, limpide, n’est plus éraflé par le passage des avions. Dans les rues, à l’heure de la spesa, les vénitiens sont de nouveau chez eux, entre eux. Ils observent les distances, se parlent de loin mais il semble que se ressoude ces jours-ci une communauté bienveillante que l’on avait crue à jamais diluée dans le vacarme des déferlements touristiques. Le tourisme, beaucoup l’ont voulu, ont cru en vivre, ont tout misé sur lui jusqu’à ce que la manne se retourne contre eux, leur échappe pour passer entre des mains plus cupides et plus grandes, faisant de leur paradis un enfer.


Venise, en ces jours singuliers, m’apparaît comme une métaphore de notre monde. Nous étions embarqués dans un train furieux que nous ne pouvions plus arrêter alors que nous étions si nombreux à crever de ne pouvoir en descendre! A vouloir autre chose que toutes les merveilles qu’elle avait déjà à leur offrir, les hommes étaient en train de détruire Venise. A confondre l’essentiel et le futile, à ne plus savoir regarder la beauté du monde, l’humanité était en train de courir à sa perte. Je fais le pari que, lorsque nous pourrons de nouveau sortir de nos maisons, aucun vénitien ne souhaitera retrouver la Venise d’avant. Et j’espère de tout mon coeur que, lorsque le danger sera passé, nous serons nombreux sur cette Terre à refuser de réduire nos existences à des fuites en avant. Nous sommes ce soir des millions à ignorer quand nous retrouverons notre liberté de mouvement. Soyons des millions à prendre la liberté de rêver un autre monde. Nous avons devant nous des semaines, peut-être des mois pour réfléchir à ce qui compte vraiment, à ce qui nous rend heureux."


Peace
Texte d'un confiné de Venise ?
Merci Christine
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6 commentaires:

M-Jose a dit…

Quel magnifique témoignage !! Une vision supplémentaire de ce que nous savons tous au fond de nous,bien exprimé dans ce texte.... Consciemment embarqués, consciemment cherchant le moyen de se détacher du rythme fou dans lequel le monde avance.....dans le mur......
L opportunite de le VOIR, de changer nos fonctionnements, nos habitudes de consommation, un défi pour réaliser que l essentiel est à défendre et à cultiver. Merci beaucoup. Gageons que la sortie de crise sera un bouleversement pour tous ,un désir de préserver l essentiel. Je constate ces jours comment le silence se révèle et pourtant je suis à la campagne....
Merci encore.
Mjo

Anonyme a dit…

merci pour ce précieux et très lucide témoignage
Aurons nous la sagesse,sortis du confinement , de revoir nos habitudes, nos pensées, nos fonctionnements ,de ne pas "confondre le futile avec l'essentiel "? et là , je me compte dans le nous ...est-ce que j'aurai le courage de cet inconfort sur le long terme ?
Monique

Anonyme a dit…

J'ai le coeur en joie de voir qu'en si peu de temps le vivant peut reprendre ses droits et que nous, les humains, puissions expérimenter un faire et un vivre autrement. Je ne sais pas ce que demain nous amènera, sûrement bien autre chose que ce que j'imagine.
Anouk

Anonyme a dit…

Merci Corinne
Très beau témoignage je trouve qui traduit bien ce que je ressens en ce moment ...
Karl

Dominique B a dit…

Que c'est beau !
Cette ville qui me touche beaucoup, berceau de ma famille, reprend vie! c'est magnifique !
et ce texte en echo est spendide
merci

Stéphane a dit…

Whaou !
... je c'est vrai, je viens juste de le remarquer maintenant : le ciel n'est plus strié par les vols d'avions .