lundi 20 avril 2009

Le silence religieux du désert

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« Il faut certainement fréquenter le désert pour ressentir l’assourdissement du silence. Dès ma première traversée algérienne, je fus frappé par ce vertige, cette absence de son. Nous sommes habitués à vivre dans le bruit ; de la ville, de la circulation, du voisinage, de la radio ou de la télévision qui dans certains foyers fonctionne en permanence comme pour occuper l’espace. Il faut croire que le calme total est angoissant, un peu comme ces appartements meublés à l’excès afin de conjurer le vide.

Le silence rejoint l’épure, l’ascétisme : en cela, il sacralise le Sahara. Les trois religions du Livre sont nées dans le désert : est-ce un hasard ? Souvent ce vide sonore, qui résonne, m’a rappelé quelque église, comme un lieu de paix intérieure, comme un havre où chaque individu, quelles que soient ses convictions, trouve un zeste d’apaisement face aux rumeurs du monde. Moi qui suis profondément sceptique, le néant désertique m’a aidé à approcher une certaine spiritualité. La religion est un dogme imposé, alors que la spiritualité est de l’ordre de l’esprit et de la réflexion.
Le vide, le silence permettent un retour sur soi rude mais salvateur. Il est si simple d’avancer en automate sur une voie tracée, jalonnée de bonnes intentions et d’insignifiants petits bonheurs. Dans le massif du Hoggar, j’ai rejoint l’ermitage de Charles de Foucauld à pied, souhaitant jouir à mon aise du paysage et des somptueuses lueurs de cette cathédrale basaltique. Des pèlerins motorisés, croisés en route, ont pensé que j’effectuais un chemin de croix. Comme si la marche en elle-même, ou la beauté des montagnes, ne justifiait point un tel effort.
J’ai souri à la barbe de ces paroissiens, et me suis demandé lequel d’entre nous était finalement le plus mystique, le plus en phase, si ce n’est avec l’anachorète, du moins avec l’endroit : et j’ai conclu que j’étais plutôt bien placé. Mon autonomie m’a autorisé à rester quelque temps au sommet, à deviser avec les gardiens du refuge, les prêtres français, à fréquenter assidûment la petite bibliothèque, à lire autant les notes des grimpeurs que les textes du vicomte voyageur. À cette époque, les frères proposaient à qui le souhaitait des gîtes isolés, afin de vivre huit à quinze jours en reclus, à l’abri, en contemplation. J’aurais souhaité m’y réfugier un instant.
Alors, pour profiter à l’envi de la nef saharienne, de la voûte des cieux, j’ai continué à voyager, en quête de rencontres humaines, de pâtres à fréquenter, d’isolement et de calme. Taquiné par le vent au cœur du désert, le silence l’est à proximité des campements par les seules rumeurs pastorales.
En 1937, les ethnographes françaises Odette du Puigaudeau et Marion Sénones visitèrent le tombeau du cheikh Mohamed Fadel, sur les contreforts orientaux de l’Adrar mauritanien. À l’approche du site sacré, leurs chameliers psalmodiaient la profession de foi et, selon Odette, “le chant musulman ressemblait au pays. Il était le chant même de ce pays, l’expression de son charme et de sa gravité. Même simplicité, [...] même patience dans les redites du thème - prière ou sable nu offert aux agenouillements.” Selon les aventurières, le saint homme était “ami des seigneurs et des sages, père des petites gens et honneur d’un islam pauvre auquel le désert a conservé la pureté de ses premiers âges”. Les zaouïa soufies constellaient le Sahara, à mille lieues de tout extrémisme. Cette foi pure existe toujours, à l’écart des éléments fanatiques.
Traversant le Ténéré avec des caravaniers touaregs, je fus touché par leurs prières, leurs actes de piété. Au sortir des reliefs de l’Aïr, une mosquée de pierres, simple alignement de cailloux à la surface du sol, recueillit leurs souhaits, leurs invocations, afin de mener à bien leur expédition. Chaque jour, en route, nombreux étaient les éleveurs qui priaient, vers l’est, le front contre le sable, avant de courir rejoindre leur place dans la file des bêtes, sans ostentation. Cette foi-là est personnelle ; ces prières dispersées répondent à la nécessité d’un recueillement, à l’appel d’une communion individuelle. Et le croyant éprouve le temps consacré, il doit regagner sa place à grandes enjambées... »

Le silence religieux du désert, extrait du livre "Le Murmure des dunes. Petit éloge du désert et de ceux qui y vivent", par Jean-Pierre Valentin

Merci ami Vincent, beau cadeau pour Corinne (et pour moi) à notre retour
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6 commentaires:

Olivier a dit…

Bon retour!

Catherine Bondy:Psycho-Praticienne et Peintre. a dit…
Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.
Anonyme a dit…

Moi je traîne dans le désert depuis plus de vingt-huit jours
Et déjà quelques mirages me disent de faire demi-tour
La fée des neiges me suit tapant sur son tambour
Les fantômes du syndicat des marchands de certitudes
Se sont glissés jusqu'à ma dune, reprochant mon attitude
C'est pas très populaire le goût d'la solitude
Quand t'es dans le désert
Depuis trop longtemps
Tu t'demandes à qui ça sert
Toutes les règles un peu truquées
Du jeu qu'on veut t'faire jouer
Les yeux bandés
Tous les rapaces du pouvoir menés par un gros clown sinistre
Plongent vers moi sur la musique d'un piètre accordéoniste ,
J'crois pas qu'ils viennent me parler des joies d'la vie d'artiste
D'l'autre côté ,voilà Caïn toujours aussi lunatique
Son œil est rempli de sable et sa bouche pleine de verdicts
Il trône dans un cim'tière de vieilles pelles mécaniques
Les gens disent que les poètes finissent tous trafiquants d'armes
On est cinquante millions d'poètes, c'est ça qui doit faire notre charme
Sur une lune de Saturne mon perroquet sonne l'alarme
C'est drôle mais tout l'monde s'en fout
Vendredi tombant d'nulle part, y a Robinson solitaire
Qui m'a dit : "J'trouve plus mon île, vous n'auriez pas vu la mer ?"
Va falloir que j'lui parle du thermonucléaire
Hier un homme est v'nu vers moi d'une démarche un peu traînante
Il m'a dit : "T'as t'nu combien d'jours ?" J'ai répondu : "Bientôt trente."
Je m'souviens qu'il espérait tenir jusqu'à quarante
Quand j'ai d'mandé son message, il m'a dit d'un air tranquille :
"Les politiciens finiront tous un jour au fond d'un asile
J'ai compris que j'pourrais bientôt regagner la ville."

Anonyme a dit…

Bon retour !
Vous devez être plein du désert... Je vous envie !
Karl

Sandrine a dit…

Oh! merci, sieur Christophe: j'ai bien aimé relire la chanson-tube de Capdevielle!

Ouaip, j'avais 17-18 ans, à tout casser...et déjà dans le désert, depuis trop longtemps!

Quant au texte de Valentin, superbe! merci Vincent, je l'imprime pour affichage sur le mur, au-dessus de l'ordi...

Bon retour à tous les déserteux, dans notre printemps verdoyant d'ici!

Clo a dit…

Très beau texte qui nous donne le goût du Silence religieux du désert.
Bon retour dans notre monde où le silence est malgré tout toujours là sous le vacarme des villes.