lundi 29 octobre 2012

Le procureur vert

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Le procureur vert

"Dans le jargon des prisonniers du goulag, s'évader se disait "passer devant le procureur vert", c'est-à- dire sous le couperet de la nature, qui était souvent plus impitoyable que le marteau des procureurs rouges. Ceux-ci  vous condamnaient  à trente ans de détention pour peu que vous fussiez soupçonné d'être un "élément douteux" ou un "ennemi du peuple". Mais la nature, elle, tendait des pièges plus redoutables: marais, ours, torrents, tempêtes, nuages de moustiques... Souvent, le froid, la faim, et finalement la mort attendaient le fugitif au bout d'une courte cavale qui ne l'avait pas porté bien loin au regard de l'immensité sibérienne.
C'est d'ailleurs en raison de ces incommensurables difficultés physiques que les camps de prisonniers soviétiques n'étaient pas aussi protégés que l'on aurait pu le penser. Une ou deux simples lignes de barbelés ceignaient le camp. Les gardiens savaient que la nature dissuadait le candidat à l'évasion mieux que n'importe quel cheval de frise.Dans les parages où s'étendit l'Archipel, l'hiver règne huit mois sur douze ( une plaisanterie russe - qui fait donc rire jaune - définit même ainsi l'année sibérienne : "Douze mois d'hiver et après, c'est l'été ! ") et , quand l'été vient, c'est la raspoutitsa ( littéralement, le "chemin interrompu", la fonte des neiges qui transforme le pays en une fondrière et rend impraticables les sous-bois.
Des prisonniers politiques réussirent malgré tout à s'évader. ILs pensaient sans doute, avec Tocqueville, que "n'est impossible que ce qui n'a pas été tenté". C'est à la mémoire de ces hommes en fuite, pour qui rien n'importait plus que de reconquérir leur dignité volée, à la mémoire de ceux qui choisirent la liberté, ne plièrent pas sous l'idéologie et sortirent de la nuit soviétique, qu'est dédié ce voyage à pied, à cheval et à vélo, de la Sibérie à l'Inde, sur les traces des évadés du goulag."
Sylvain Tesson
Sous l'étoile de la liberté
Arthaud poche p15

4 commentaires:

Anonyme a dit…

Drôe de trek en effet.

Comme disait le philosophe : "La nature ne compatit pas."

gjm

Anonyme a dit…

Drôle de trek...

gjm

philippe a dit…

OUI Corinne,face à la Nature avant on la craignait et la respectait pour ce qu'elle avait de grandiose,d'effrayant et de noblesse.

Anonyme a dit…

Intéressant. Cela est bien sûr contradictoire avec la vision romantique de la nature qu'on certains occidentaux. Dans nos sociétés modernes, avec la technologie, nous sommes spectateurs de la nature et nous ne sommes pas confrontés à sa rudesse quotidiennement. Cela ne veut pas dire évidemment qu'il ne faut pas la respecter, mais il ne faut pas non plus l'idéaliser.

Philippe.