.
En direct de Delhi, un petit clin d'oeil au groupe qui vient de rentrer...
Pour les quelques jours dans la capitale, j'avais emporté le livre de Kapuscinski.
Tout jeune journaliste, au milieu des années 50, Kapuscinski n'a jamais quitté la Pologne communiste où la censure vient à peine d'autoriser la publication de la traduction des Histoires d'Hérodote. Il rêve de passer la frontière, juste aller en Tchécoslovaquie. Et voilà qu'on l'envoie...en Inde !
Tout jeune journaliste, au milieu des années 50, Kapuscinski n'a jamais quitté la Pologne communiste où la censure vient à peine d'autoriser la publication de la traduction des Histoires d'Hérodote. Il rêve de passer la frontière, juste aller en Tchécoslovaquie. Et voilà qu'on l'envoie...en Inde !
"Toutefois, le véritable choc culturel se produisit une heure plus tard lorsque je sortis de l'hôtel. De l'autre côté de la rue, sur une petite place exiguë, des pousse-pousse tirés par des hommes décharnés et voûtés, aux jambes tout en nerfs et en muscles, commencèrent à se rassembler. Ils avaient dû apprendre qu'un sahib était descendu au petit hôtel (par définition, un sahib doit avoir de l'argent), et ils attendaient donc patiemment, prêts à offrir leurs services. L'idée d'être confortablement installé dans une voiture attelée à un être famélique, affamé, faible et respirant à peine m'inspirait un dégoût, une indignation et une horreur sans borne. Moi, un exploiteur ? Un buveur de sang ? Un oppresseur ? J'avais été éduqué dans un esprit complètement opposé ! On m'avait notamment inculqué que ces squelettes vivants étaient mes frères, mes camarades, mes proches, la chair de ma chair. Aussi, lorsque ces hommes se ruèrent sur moi avec des gestes engageants et implorants tout en se bousculant et en se chamaillant, je me mis à les repousser, à les chasser et à protester avec détermination. Stupéfaits, ils ne pouvaient comprendre mon message, ils ne pouvaient me comprendre, car ils comptaient sur moi, j'étais leur seule chance, leur seul espoir de gagner un minuscule bol de riz. je partis sans me retourner, insensible, inflexible, fier d'avoir refusé de jouer le rôle de sangsue se repaissant de la sueur humaine."
p 28-29
Plus loin, il se retrouve à Bénares :
." De tous les coins de la ville, des haut-parleurs émettent des airs aigus, sonores, langoureux qui proviennent d'innombrables temples locaux, petites constructions à peine plus élevées que les maisons à un ou deux niveaux qui les entourent. Ils se ressemblent tous, badigeonnés de blanc, ornés de guirlandes de fleurs et de décorations scintillantes, élégants et lumineux, semblables à des jeunes mariées se rendant à l'autel. L'atmosphère qui y règne est sereine, nuptiale. Ils sont bondés, les gens murmurent, brûlent de l'encens, roulent des yeux, tendent les bras. Des hommes (sacristains ? enfants de choeur ?) distribuent aux croyants de la nourriture : un morceau de gâteau, du massepain, des bonbons. Si l'on garde les mains tendues un peu plus longtemps, on a la chance de recevoir deux, voire trois portions. Il faut soit les manger soit les déposer sur l'autel. Dans tous les temples l'entrée est libre, personne ne demande qui vous êtes et quelle est votre confession. Chancun rend hommage individuellement, de sa propre initiative, sans rituel collectif, d'où cette sensation de détente, de liberté et de légère pagaille."
p 44-45
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire