vendredi 23 mai 2014

L'immensité Intérieure

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Voici un texte retrouvé dans mes tablettes... Il date probablement de 2008 ou 2009...




« Au retour de presque un mois dans le Hoggar, je sens l’importance de la durée du séjour. Le désert rabote d’autant plus qu’on y reste plus longtemps, que la coupure a le temps de se faire par rapport à nos habitudes, à notre petit monde.Je mesure à quel point le dehors nous imprègne bien plus que ce que nous pensons. De la même manière qu’une certaine nourriture physique facilite l ‘apparition des maladies, certaines nourritures d’impressions font le lit du mental. Vivre dans le bruit et l’agitation d’une ville ajoute à la difficulté de contacter le calme et le silence. On en revient à l’histoire de l’enfant qui allait dans la forêt parce qu’il avait compris que Dieu est partout et partout le même mais que nous ne sommes pas partout les mêmes. Les sollicitations tous azimuts des télévisions, des ordinateurs, des magasins, des lumières, des affiches, des téléphones, des conversations où il n’est question que de refaire le monde chacun à sa façon entretiennent une excitation intérieure dont l’ampleur n’apparaît clairement que lorsque nous sommes brusquement plongés dans le monde moderne après un long séjour dans le calme de la nature, à la montagne ou dans le désert peu importe. Et l’excitation agissant comme une drogue, il faut une période de sevrage assez longue pour qu’elle disparaisse. C’est un phénomène que j’observe chez moi et chez les autres. Il faut quelques jours de silence et de vide pour qu’un groupe si impatient qu’il n’attend pas l’ascenseur de l’aéroport parce qu’il ne vient pas dans les deux premières minutes, se retrouve à attendre tranquillement en plein soleil le départ de la caravane. Les questions : « On a marché combien de temps, combien de kilomètres ? », « A quelle heure est-ce qu’on part le matin ? A quelle heure est-ce qu’on mange le soir ? » - j’ajoute que seuls le guide et Alain ont une montre - « ça date de quand ? », « c’est du grès ou du basalte ? » ces questions s’espacent, ne remplacent plus la contemplation du paysage, l’appréciation d’une pierre. Les gestes se font plus posés, plus lents, sans accélérations brusques. La chaleur à certains moments et la fatigue sont une aide précieuse pour accéder à la lenteur. La parole a de plus en plus trait à ce qui se vit là, maintenant. Chacun parle de soi et non des autres, d’ailleurs, d’avant ou de plus tard. Les comparaisons, les réflexions automatiques, l’expression irréfléchie de ce qui nous passe par la tête après le silence de la marche, tout cela s’amenuise, s’estompe. Je sais qu’un groupe est vraiment dans le désert lorsque les pauses au cours de la marche deviennent presque silencieuses : ce n’est plus la « consigne » qui impose le silence mais la Présence de chacun à soi-même et au monde. Et ce déclic se produit plus ou moins mais immanquablement : il y a une quasi-impossibilité à rester longtemps agité, compliqué et hors de soi dans un paysage de grande nature immobile et simple, dans une vie au rythme du soleil et de la lune. L’écran de pensées entre nous et le monde devient transparent et nous pouvons alors vraiment voir le monde et nous émerveiller. Lorsque la présence au paysage, au-dehors, est totale, alors la présence à soi-même est totale aussi. Et cette présence à soi-même n’est pas distincte de la présence à Dieu et aux autres.
Chaque matin avant de partir, nous nous rassemblons en cercle et Alain ou moi donnons une intention pour la journée. Ce qui est venu le deuxième jour : « Laisser le silence du dehors rencontrer celui du dedans ». Ou exprimé autrement : « Laisser l’immensité du désert nous rappeler notre immensité intérieure ». Juste laisser faire l’infini du paysage, s’ouvrir à cet infini, s’en nourrir et il va, c’est sûr, aller chercher le souvenir de l’infini qui est en nous.Le bruit du dehors va chercher celui du dedans.La paix du dehors va chercher celle du dedans.L’immensité immobile du dehors va chercher celle du dedans.C’est probablement ce qui nous attire au désert. Non pas comme nous le croyons d’abord, l’inconnu, le nouveau, l’ailleurs. Non. La nostalgie de quelque chose de déjà-vu, déjà goûté, ici. Le souvenir de notre essence divine, de notre nature spacieuse. Et nous venons l’expérimenter dans la marche, le corps en mouvement, les muscles qui tirent et les articulations qui grincent parfois, pour nous souvenir que cet infini n’est pas seulement celui d’avant l’incarnation, celui dont nous venons. Cet infini, c’est celui de maintenant. »
 Corinne



10 commentaires:

da costa a dit…

Merci Corinne...

Stéphane a dit…

Merci

Yannick a dit…

Très beau.

Anonyme a dit…

Merci Corinne.
Vous devriez écrire plus ici !

Nostalgie ( théorie de la douleur du manque ) à ne pas assimiler au péché originel qui lui serait une ineptie, concept inventé par un concile, inconnu des premiers chrétiens; mais qui continue de nous culpabiliser.
cf conférence de Lytta Basset Annecy, mai 2014.

Je sors d'une mega Mac'Panne qui m'a demandé 7 h de remise en état ! Comme aurait pu dire Guillaume le Conquérant : Léopard Normand tu es, Léopard tu resteras ! Remarque pour Alain connaisseur en Mac.

Le système demande si je suis un robot, de fait oui par beaucoup de points et je viens de revoir l'Odyssée de l'Espace, lutte à mort entre l'homme le robot... inventé par l'homme !

gjm

j-p gepetto a dit…

Très simple et nourissant et cependant si difficile à me rappeler...
JP gepetto

Anonyme a dit…

Ce texte me fait du bien ....

même si je ne suis pas allée au désert
Merci
Monique

Anonyme a dit…

Merci Corinne.
Je t'embrasse de tout coeur.

Sandrine M.

Julie a dit…

MERCI Corinne :-)

Anne B a dit…

Merci Corinne pour ce très beau partage, cette intimité profonde, juste, l'essentiel. Anne B.

Anonyme a dit…

Merci Corinne !
Quelle intensité ce voyage !
Karl