mercredi 25 mars 2015

La méditation m'a sauvé / Phakyab Rinpoché (1)

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C'est un livre exceptionnel. Ne vous arrêtez pas au titre un peu dramatique. Il y a ici bien autre chose qu'une histoire aussi impressionnante soit-elle. Phakyab Rinpoché  a été ordonné moine en 1980 . Il reçoit sa formation à Sera Mey en Inde du Sud  et au monastère de Golok dans l'Amdo au Tibet.  En 1994 il est reconnu par le Dalaï Lama comme le huitième Phakyab Rinpoché. En 1997 il reçoit du même  Dalaï Lama des instructions précises pour aller enseigner au Tibet. Il est arrêté en 2002 en tant qu' abbé du monastère d'Alshi et détenu et torturé par les autorités chinoises. Il s'est évadé et comme de nombreux tibétains a franchi au péril de sa vie la barrière himalayenne. En 2003 Sa Sainteté l'engage à partir aux USA où il doit enseigner dans un centre du Dharma.  Dès son arrivée à New York il tombe malade et est soigné à l'hôpital Bellevue qui s'occupe des victimes de la torture. Gangrène avancée au pied droit et tuberculose osseuse. Il refuse l'amputation et reçoit du Dalaï lama l'impulsion pour ne plus chercher la guérison à l'extérieur. pendant trois ans, il effectue de 5h du matin à minuit les pratiques de tong len et du tsa-lung qu'il a reçu de ses maîtres. 
Bien au delà du récit d'une guérison physique par des pratiques réservées à des initiés et dont  le contenu n'est pas dévoilé, ce livre parle de l'esprit. De ce qu'est l'esprit.

Voici un premier extrait qui vous donnera un bref aperçu de la force et de la qualité de l'écriture :

"Sur les hauteurs du Toit du monde, l'élan de la terre est palpable. Elle se dresse vers le ciel. Je l'ai perçu très jeune et par la suite avec une force inégalée lorsque, sur les chemins de l’exil, je me suis confronté dans un corps à corps, à la vie, à la mort, avec les monts himalayens. J'ai alors éprouvé la puissance des éléments à l'état brut, difficilement soutenable. Au risque de me rompre les os, car l'être humain est vulnérable à leur pouvoir dans ces hauteurs extrêmes et inhospitalières.
À New York je perçois une autre forme de puissance, non moins redoutable, celle de l'intelligence à la conquête de la matière. La volonté est ici surdimensionnée. Elle emporte dans une course effrénée la ville où je me trouve. Océan d'humanité affairée, New York ne s'arrête jamais. Sa houle implacable fait déferler une succession de vagues géantes. Le paysage sonore me réverbère, dans le petit studio solitaire que j'occupe, les échos d'une agitation qui maintient l'esprit sous tension permanente. Soif d'action et de réalisation irrépressible. Dynamisme exacerbé. Les New yorkais se précipitent, mais vers où ? Vers quoi, au juste ?
Du matin au soir, la ville sollicite ses habitants. Elle exige d'aller, venir, faire, agir, fabriquer, produire, exécuter, effectuer, entreprendre, commencer , recommencer, oser, diriger, piloter conduire, saisir piloter agripper, tenir , harponner, tirer, puiser, capturer, posséder, arracher, emporter, accaparer, conquérir, ravir, envahir, confisquer, utiliser, profiter... Sans répit . Toutes ces activités visent à la main mise sur l'univers matériel duquel on attend les satisfactions de la richesse et de la réussite. Et j'entrevois la souffrance de tous ceux que l'emballement des performances made in USA a cassés. Vies brisées, échouées sur le grève où l'on vient agoniser, faute d'avoir réussi à se couler dans le rêve américain. Dans cette société où rien ne semble laissé au hasard, ce rêve a sûrement ses standard et ses normes ready-made. Cela, je l'ai compris intuitivement dès ma sortie d'avion.
Je suis perplexe. Mon enfance et ma formation de moine n'ont cessé de me solliciter en permanence de l'intérieur vers l'intérieur . Dans une dimension où il s'agissait d'être en accueillant tout ce que la vie nous présentait – de bonheur et d'adversité. Quelle chance a le marginal que je suis de s'adapter ? De survivre à New York ?
La question se pose doublement. Au plan de mon intégrité physique d'abord, car je suis atteint à la jambe d'un mal inconnu. Et ensuite au plan de mon identité de moine. Car à New York je me trouve éloigné du mode de vie que j'ai choisi adolescent, au sein d'un monastère."


P 80-81
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2 commentaires:

Anonyme a dit…

Merci Corinne
Karl

M-Jose a dit…

Merci Corinne ; ce livre semble très intéressant.
MJo