jeudi 12 mars 2015

Le choix

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Lorsque nous étions à Dongyu Gatsal Ling, la nonnerie fondée par Jetsunma Tenzin Palmo, a eu lieu l'ordination de jeunes nonnes récemment arrivée. Elles étaient une quinzaine à arriver de régions très pauvres de l'Himalaya en particulier du Zanskar une vallée très isolée près du Ladakh. Elles sont très jeunes, 10 ans, 8 ans, la plus petite a même 5 ans. On nous précise les conditions dans lesquelles elles sont arrivées. Elles viennent de familles bouddhistes très pieuses et très pauvres pour qui le monastère représente une chance extraordinaire pour leurs enfants : servir le dharma, d'être éduquées et manger à leur faim. Les moines étaient réticents, les parents les ont supplié de les emmener. Ils l'ont fait.
Émotion dans le groupe...Mais ces enfants ne choisissent pas !
Il est vrai que l'ordination engage leur existence même si elles ont ensuite la possibilité - théorique mais pas facile à assumer dans la société indienne - de se « dérober » ( to disrobe) et de ne plus être nonne.
Cela nous interroge sur le choix et sur la manière très différente dont ce thème est vu en Orient et en Occident. Il est clair que partout dans le monde les parents choisissent pour leurs enfants mais dans nos société la liberté est valorisée et les options que les parents prennent pour leurs enfants – prénom, nourriture, lieu de vie, école, activités diverses, frères et sœurs, mode de garde en cas de divorce...etc...- toutes ces options ne sont pas mises en avant. Ce que l'on met en avant c'est la liberté de l'enfant, l'apprentissage du choix. On voit même des parents pleins de bonne volonté et farcis de principes éducatifs modernes demander à leur bambin de deux ans s'il veut voir un film ou aller à la piscine. L'embarras du gamin est visible, deux ans c'est un peu tôt, et je ne pense pas que cela lui apprenne à prendre une décision. Dans la société indienne, puisque nous sommes en Inde, les choix que les parents font pour leurs enfants sont tout à fait assumés, considérés comme naturels y compris à des âges et dans des domaines qui choquent les occidentaux. Les mariages arrangés sont encore la norme dans toute l'Inde rurale et l'on peut rappeler qu'en Inde 70 % de la population est rurale. Choisir donc l'orientation de l'existence d'un enfant, que ce soit à 5 ans ou à 18 ans n'est pas considéré comme une atteinte à sa liberté. Le pouvoir de décision des parents et de la famille est très fort. Et le choix du métier, du mari ou de ou de l'épouse est fait selon des considérations précises de caste, de groupe, de religion...etc. La valeur mise en avant est plus la soumission à la tradition, au dharma, à la coutume, que la liberté du choix et ce pour tout le monde parents et enfants.
D'autre part, j'ai été frappée par la valeur fondamentale dont les nonnes plus âgées parlent le plus souvent : ce n'est pas la liberté mais le service. Plusieurs fois à la question : «  Qu'est-ce qui t'a décidé à devenir nonne ? » j'ai entendu : le désir d'être au service des autres. Je me souviens en particulier de cette jeune fille de 18 ans dont le visage marqué garde la trace d'une vie difficile au Népal et qui m'a dit dans son anglais encore un peu hésitant mais très clair cependant: « J'ai vu la vie de ma mère et je ne veux pas avoir la même. J'ai vu le samsara et la souffrance et je veux aider les autres à en sortir. » Pour elle, c'est une évidence, la seule aide vient d'un changement de niveau de conscience. Elle dit par ailleurs que son but est « Enlightment » l'illumination. Pas moins. La liberté au niveau relatif n'est pas évoquée. Elle semble n'avoir de sens qu'à un niveau ultime comme condition du service aux autres. J'imagine que toutes les nonnes n'ont pas ce degré d'exigence. Cependant à les regarder vivre on s'aperçoit que leur énergie est peu orientée vers l'originalité, la liberté individuelle, et davantage focalisée sur l'harmonie et le travail avec les autres. Elles viennent de familles élargies où l'accent est mis sur l’obéissance aux aînés et la solidarité du groupe. Celles qui ont connu la grande pauvreté dans des villages reculés ne se posent pas la question de la liberté du choix de leur existence C'est une question pour ceux qui mangent à leur faim et qu' une société axée sur le progrès et le bien-être matériel a convaincu que le bonheur était dans la possibilité de faire ce que l'on veut. Leur difficulté est inverse : elles ont du mal à répondre lorsqu'on leur demande ce qu'elle veulent me dit une femme qui séjourne souvent à la nonnerie, et Jetsunma et les professeurs les encouragent à sortir de l'indifférenciation du groupe et à oser affirmer leur différence.
Plus profondément qu'une discussion sur mentalité occidentale et mentalité orientale, une situation comme celle-ci nous invite à nous demander avec un peu de recul ce que nous avons choisi dans notre existence. Et d'abord de constater que cette question se pose à un certain niveau, celui du moi, celui où nous avons une histoire avec un début un milieu et une fin. Cette question existe sur le plan de ce qui en nous est né, devenu, composé. Ai-je choisi mes parents, le pays et l'époque où je suis née ? Ai-je choisi la langue maternelle que je parle et qui véhicule dans son histoire et sa structure tant de conditionnements qui passent inaperçus tant qu'on n'apprend pas une langue complètement différente ? Est-ce que j'ai choisi mes goûts et mes aspirations ? Est-ce qu'on choisit d'aimer la mer plutôt que la montagne, le salé plus que le sucré, le bleu plus que le vert ?
On peut parfois avoir l'illusion de choisir un métier par exemple, surtout si on a dû s'opposer à ses parents pour l'exercer comme cela a été mon cas. Mais en réalité d'où nous vient un désir ou une préférence quelle qu'elle soit ? Et nos attirances, répulsion ou indifférence vis à vis de celles et ceux que nous rencontrons ? Si l'on se pose la question honnêtement, avec innocence, c'est vite vertigineux. Je vous invite sans tirer de conclusion à honnêtement vous la poser.
Qu'est-ce que j'ai choisi dans mon existence et qu'est-ce qui m'a poussé à faire ces choix ?
Bonne pratique.

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8 commentaires:

gege a dit…

merci , tellement vrai !

ipapy a dit…

Oui, merci vraiment pour ce nouveau texte.

M-Jose a dit…

Merci beaucoup Corinne.
Superbe texte.
cela me parle si fort.
De plus le retour sur les images de la nonnerie, des jeunes nonnes et de Jetsuma..
Bises

Anonyme a dit…

Question fondamentale.
Des " pourquoi, pourquoi ? " mais finalement un désert de réponses !

Des ados nous disent :
j'ai pas demandé à naître et pas dans cette famille ...

Personnel : pourquoi une attirance pour tel métier ( ? ), pourquoi ai-je été un officier raté ( résolu ) etc .

gjm

Anonyme a dit…

Je n'ai rien choisi, cela est apparu...
JP gepetto

Valérie a dit…

Merci Corinne pour ce très beau texte.

Anonyme a dit…

Wahou je ne vais pas dormir là Corinne !!
Merci
Karl

clo b. a dit…

Belle analyse.Merci Corinne.Je comprends que ipapy soit content...Je vous embrasse.clo b.