mardi 7 septembre 2010

Ce lien qui ne meurt jamais, Lytta Basset



"Aucun livre ne m'a autant coûté. Sa matrice est un journal intime que j'ai entrepris de tenir dès les premières semaines du deuil, après le suicide de notre fils Samuel, âgé de 24 ans.

Au plus épais du brouillard qui avait alors avalé tous mes repères, il m'avait semblé discerner quelques lucioles sur le sentier incertain que je suivais en funambule. Cinq ans plus tard, j'ai repris des éléments de ce document autobiographique en les rédigeant à la troisième personne, et en les accompagnant de méditations ou réflexions formulées en "je".

Déjà, de vive voix, j'avais commencé à aborder publiquement ces sujets demeurés largement tabous dans nos sociétés occidentales : la mort, le suicide, l'au-delà, notre rapport aux réalités invisibles. Et chaque fois ces interventions suscitaient des confidences, des personnes bouleversées par le retour d'une mémoire occultée ou raillée par les autres, me demandaient de témoigner.

Le chemin de vérité qui mène à une Vie plus forte que l'irréparable n'est pas l'apanage des croyants. Le clivage est ailleurs. Il dépend de l'orientation choisie : malgré ou à travers la mort de notre proche, désirons-nous ardemment aller vers ce qui vit, ou décidons-nous d'étouffer ce désir en nous ? "


Un livre magnifique trouvé à ND des Neiges et lu d'un trait. Un aperçu sur ce qu'est la vie spirituelle.

Lytta Basset a été pasteure à Genève. Elle est professeure de théologie protestante en Suisse.

Voici deux extraits :


"Mon credo personnel commence ainsi : « Dieu, personne ne l’a jamais vu. » Voilà l’humanité entière sur un pied d’égalité et « Dieu » à l’abri de toute mainmise ! Mais alors, qui me Le fera connaître ? L’évangéliste Jean répondait sans hésiter : « C’est celui qui est dans le sein maternel du Père », qui se tient dans la toute maternelle et paternelle Présence. Jean parlait de Jésus de Nazareth, sans cesser pourtant de montrer ce « fils d’humanité » traçant au long des jours un sillon où chaque être humain après lui pourrait faire pousser la vie. Mais cela ne me suffit pas. J’ai besoin d’un vis-à-vis, d’un face-à-face- franc et fécond avec Lui : en s’offrant de cette manière à ses contemporains, sans doute Jésus leur a-t-il « fait connaître » Dieu. Mais moi, aujourd’hui ? Mais nous ? Qui nous Le fera connaître ?

Il reste tous les humains, certes. Le simple regard d’inconditionnel accueil que pose sur nous l’un de nos semblables peut nous « faire connaître » la Présence. Une telle expérience en a guéri plus d’un ! Mais il faut croire que cela ne me suffisait pas encore : quelque chose de neuf s’est passé à l’abbaye de Chambarand, qui me fait penser à l’expression « être touché par la grâce ». C’est davantage que le regard de Jésus – indissociable de celui de Samuel – chargé d’insondable Tendresse. C’est à proprement parler l’entre-deux de la relation qui se mettait à exister au centuple, à la fois dans la douleur et dans l’indestructible fidélité : rien n’effacerait jamais cet entre-deux où chacun était impliqué de tout son être – ni le reniement entre Pierre et Jésus ni la mort et son cortège de regrets entre Samuel et moi. L’entre-deux demeurerait à jamais, par-delà toute blessure. Dieu pouvait donc se « faire connaître » ainsi."

Lytta Basset

Ce lien qui ne meut jamais

Ed Albin Michel P 208


" Se noyer dans l’illimité, l’incommensurable, l’innommable, n’est-ce pas à coup sûr, perdre le contact avec qui l’on est ? En revanche, revenir à soi – et, d’un même élan, revenir à la vie, aux autres, à la relation – peut paraître tristement banal : on se trouve réduit à n’être que soi, définitivement privé de la connaissance du Mal et de la Vie. Le deuil de la compréhension totale du malheur – pourquoi cela m’est arrivé à moi ?- semble donner la main au deuil de connaître l’avenir : je ne sais presque rien de l’au-delà, je ne sais même pas ce que la Vie me réserve au jour le jour.

La mort de notre proche nous a projeté contre les murs de la prison qu’est devenu notre moi : nos credos, nos théories,nos rassurantes philosophies ont volé en éclats. Nous avons été tentés de ne plus rien dire, puisque les choses étaient indicibles. Puis nous avons retrouvé la parole, acceptant de balbutier faute de pouvoir tout dire. Et nous avons fait connaissance avec la grande pauvreté de l’être : je ne suis que cela, dans les limites infranchissables de mon savoir, de ma parole, de mes capacités…Sans doute fallait-il en arriver là pour entendre du Vivant : « C’est toi que je voulais bénir, rien que toi, tout toi !"


Ibid p 215



5 commentaires:

Anonyme a dit…

Merci Corinne,

Les larmes du fond de moi se pointent à nouveau, mais :
" Debout les endeuillés, car ils seront consolés ! "
.Nous connaissons Lytta Basset pour l'avoir rencontrée peu après qu'elle ait perdu son Samuel et nous notre Séverine. 10 ans déjà...

Il y a aussi un magnifique diaporama de Lytta que nous avons visionné avec les moines de Tamié.

Depuis une amitié s'est nouée avec nos frères protestants d'ici et de Suisse romande.

gjm

Corinne a dit…

J'ai effectivement souvent pensé à vous durant la lecture de ce livre...

sevim a dit…

"Le deuil de la compréhension totale du malheur – pourquoi cela m’est arrivé à moi ?- semble donner la main au deuil de connaître l’avenir : je ne sais presque rien de l’au-delà, je ne sais même pas ce que la Vie me réserve au jour le jour." Come cette phrase me touche ! Merci Corinne, ce livre semble être un beau phare pour les traversées difficiles. Sylvie

gege a dit…

je confirme ,au plus profond de la souffrance ,de l`absurde parceque incomprehension ,si je sais accepter ,dire oui a l`innacceptable ,alors disparait la souffrance et apparait la joie ,la paix ,c`est une transfiguration totale .et puis avec le retour du non ,ca s`estompe et disparait ....dumoins pour moi ca a ete ainsi....dommage!mais avec quelques efforts ca revient ,peut-etre pas les memes intensites a chaque fois ,mais qu`importe,l`essentiel est qu`il y ait eu rencontre ou decouverte ....
merci pour ces textes.

Anonyme a dit…

Il n'y a qu'une question importante :

" Suicide ou Résurrection ? "



gjm