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C'est une vie rude pour nos amis tunisiens qui sont occupés du matin au soir. Charger, décharger, marcher, s'activer pour le repas, s'occuper des bêtes. Excepté le soir, ils n'ont aucun moment de repos.
Rude aussi pour nous car il fait froid dès la tombée du jour, un peu avant six heures. Novembre marque l'arrivée de l'hiver ici aussi et si les journées sont agréables, la température chute vite le soir. La nuit, nous sommes protégées dans nos duvets mais en sortir le matin est une petite épreuve. Le feu ne sert pas seulement à cuire la soupe ou le couscous mais à nous réchauffer. Nous aidons comme nous pouvons à charger les chameaux. Tenir une caisse, passer une corde, poser nos affaires devant le bon chameau. Car chacune des bêtes a son chargement, toujours le même, savamment équilibré. L'eau par exemple est toujours puisée symétriquement dans les deux grands jerricans. Le matin, avant le départ de la caravane, je brûle nos déchets. Un petit travail dans mes possibilités qui me fait retrouver les gestes anciens du feu et donne la satisfaction de la place nette. La marche est lente. Presque cinq heures par jours est assez inhabituel pour nous et nous avons le bonheur de constater que le corps suit. Avec des douleurs de dos, d'articulations qui se calment au repos. Il grince mais il suit. Je sens que malgré l'effort, peut-être à cause de l'effort, il est reconnaissant pour une activité pour laquelle, fondamentalement, il est fait.
Les sensations sont fortes, contrastées, leur changement très brusque. Si je ferme les yeux, elles sont encore là.
Le jour, la caresse froide du sable fin sous les pieds, le crissement légèrement salé du même sable dans la bouche, le picotement des yeux, le bruit incessant du vent, la chatouille insistante des mouches qui tapissent nos dos et viennent régulièrement se poser sur nos visages, l'odeur forte des chameaux, l'opposition marquée de la chaleur du soleil et de la fraîcheur de l'ombre, l'éblouissement de la lumière.
La nuit, près du feu, le visage brûlant et le dos glacé, et par bouffées, l'odeur âcre et piquante de la fumée, le noir béant tout autour, la musique des voix d'Ahmed et El Gacem qui discutent par intermittence dans une langue familière et inconnue, plus tard, la chaleur douce du duvet et les muscles qui se détendent alors que le nez qui émerge du châle entouré sur la tête est froid et que de la buée sort de la bouche.
Qu'est-ce qui fait alors que l'on quitte le confort de nos maisons bien chauffées, les couleurs flamboyantes de nos forêts d'automne, la sécurité de notre quotidien où la météo est annoncée à l'avance, nos agendas variés, les liens tissées avec ceux que nous aimons, l'abondance matérielle et humaine de nos vies protégées pour aller dans le désert ?
L'Infini. L'infini du ciel, de l'espace, qui nous rappelle le nôtre. Ce sentiment de vastitude et de liberté fondamentale que nous renvoient les courbes des dunes jusqu'à l'horizon et à 360 degrés. Le silence profond, dense, immense de la nuit qui rend les rares insomnies délicieuses et me nourrit autant que le pain. La beauté de la terre, la splendeur de la voie lactée. La netteté, la clarté stupéfiante des étoiles qui semblent s'être approchées pour nous parler à l'oreille de l'infini inconnaissable de l'univers. La solitude, l'absence progressive à ce qui fait nos préoccupations ordinaires, ce vide de plénitude qui, retrouvé, me fait venir les larmes aux yeux. De gratitude, de bonheur, sans raison. C'est une nourriture essentielle dont parfois nous ne savons plus à quel point elle nous manque dans la pléthore de nos existences privilégiées. Tous les lieux vastes et vides, le désert, la mer, la montagne, jouent le même rôle. Sans cesse nous rappeler que le Rien, l'Ouvert, le Sans limite est notre nature fondamentale.
8 commentaires:
Merci Corinne
Catherine De
Merci Corinne, quel belle description du paysage, du corps , des ressentis..
Je ne connais pas du tout le désert, mais je reconnais quelque chose de ton vécu.
Merci encore.
Merci pour ce beau "reportage" : texte et les belles photos de Véronique , donnent vraiment envie ...! Merci beaucoup !
Magnifique... c'était un de mes rêves... ce n'est peut-être pas trop tard ?
Merci pour ce partage !
Sylvie V
Merci beaucoup pour ces deux épisodes qui m'ont porté, à quand votre livre de récits de voyages ?
Ces deux mots, "l'Ouvert", suffisent
A me remémorer les souvenirs de la mer Atlantique et les "exercices" de l'Ami Douglas.
Élan du cœur vers toi.
JP Gepetto
Pranam !
Merci Corinne, pour ces mots et ce texte et ces mots sur le désert. C'est inspirant.
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