vendredi 20 février 2009

Hara : Au Pays des ventres heureux (2)

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Lorsque j’enseignais le Yoga, il y a bien longtemps dans les années 70, la première chose que je proposais aux débutants, c’était de se coucher sur le dos et de laisser le corps respirer. Combien de ventres immobiles, bloqués, tendus, sans vie, n’ai-je pas vu pendant toutes ces années ?

Tout en lisant ce texte, vérifiez pour vous-même : « Quelle sensation du ventre avez-vous ? Votre ventre est-il relâché ou tendu ? Dans quelle partie de votre corps sentez vous le souffle en ce moment même ? le ventre, le bas-ventre, le niveau de l’estomac, la poitrine ? Êtes-vous totalement certain que vos vêtements ne limitent, ni ne gênent en aucune façon l’épanouissement de votre ventre ? vous sentez-vous en plein accord pour libérer votre ventre ? pour qu’il prenne la place qui lui revient ? » Car la première étape des retrouvailles avec le ventre c’est bien la reconnaissance de son volume naturel dans la détente.

Nous avons tous entendu parler du mot Hara. Au Japon, le mot Hara désigne pour l’essentiel une manière d’être physiquement et mentalement, une manière d’être en relation avec la terre et le ciel et là aussi, la clef pour approcher cette attitude, la pratiquer et la vivre c’est encore et toujours la détente. Je demandais souvent dans les cours de travail sur le corps de simplement, debout placer le pouce de la main gauche sur le nombril et à partir de là, poser délicatement la main sur le bas-ventre, elle est ainsi idéalement placée sur la zone du Hara. Ensuite, je propose à chacun de lâcher le ventre, de le poser dans la main. Le fait du contact de la main nous rassure et nous autorise le relâchement.

Beaucoup de gens ont peur de leur ventre, peur de lui donner sa place, peur qu’elle ne corresponde pas aux critères que suggère, pour ne pas dire qu’impose, la société.


Placer son ventre dans sa main, c’est aussi y placer le souffle et a bien des égards, c’est tenir sa vie dans sa main. Le centre de gravité du corps se confond alors avec le centre de gravité du souffle. Lâcher le ventre, c’est permettre au souffle de descendre et de s’ancrer dans le bas-ventre. Je propose ensuite de marcher ainsi avec le ventre, le souffle, la vie dans la main et de découvrir que nous sommes dans une relation plus juste, plus aisée, plus naturelle à soi-même, au sol, à l’espace et bien sûr aux autres dans la pièce d’exercice. Nous pouvons alors avoir l’impression de marcher comme un petit enfant, ou comme une femme enceinte heureuse et épanouie, le ventre en avant, le cœur ouvert.

En réalisant que dans la tension et le refus de nos entrailles nous nous nous interdisons de facto une vraie relation physique au monde et aux autres. J’ai rencontré pendant mes années d’enseignement de la culture physique ou du Yoga de nombreuses femmes enceintes. Beaucoup m’exprimaient leur bonheur de ne plus être esclave d’une forme imposée de l’extérieur, leur bonheur d’être en accord avec un ventre devenu par leur état socialement acceptable et donc accepté.

Les retrouvailles avec la forme corporelle juste sont de la plus haute importance pour l’Homme en général et pour l’Homme en quête en particulier. C’est une question de santé physique , mentale et spirituelle. Notre corps de souffrance n’est fait que de tension, de refus, de comparaison, de modèles socialement imposés.


Sur la Voie, une pratique corporelle est juste et nécessaire Loin d’être une concession à notre humanité souffrante, c’est la manifestation du respect, de la bienveillance et de l’amour que nous devons à ce précieux corps, le temple du Dieu vivant, le lieu magique de l’expérience et du mystère qui crée l’univers, ici même, exactement où nous sommes, maintenant.

Une pratique liée au ventre mérite un développement particulier, c’est l’aspect exercice de la pratique du Hara.

Voici l’éducatif ultrasimple que j’ai souvent propose à mes élèves, il en existe beaucoup d’autres mais celui-ci peut largement suffire à vous faire découvrir le geste juste. Vous pouvez le pratiquer debout ou assis. Placer votre pouce gauche sur votre nombril. Sous le nombril placer l’index, le majeur et l’annulaire droit. Lâcher le nombril et maintenant, pressez fortement le bas-ventre avec les doigts de la main gauche, juste sous ceux de la main droite. En opérant de cette façon, vos doigts sont correctement placés. Puis en maintenant la pression, sans intervenir dans le souffle, vous observez ce qui se passe. À chaque inspiration, la paroi abdominale repousse légèrement les doigts et à l’expiration la pression des doigts fait que le ventre rentre légèrement. Maintenant, il s’agit à l’expir de repousser fortement et brusquement les doigts. Cet exercice répété plusieurs fois et ensuite en en diminuant peu à peu l’ intensité , permet de découvrir, de sentir le geste interne juste qui représente la pratique du Hara.

Il s’agit en fait comme le disait Taisen Deshimaru, « d’expirer en pressant sur les intestins ». A chaque inspir, nous accueillons dans le corps en même temps que l’air une précieuse énergie. Toutes les traditions lui ont donné un nom, c’est le prana des indiens ou le ki des japonais. A l’expir, le geste de Hara permet de placer cette énergie dans le bas ventre. Ce qui a d’ailleurs souvent pour effet au début de la pratique de générer une chaleur plus ou moins intense dans cette partie du corps, ce qui est normal. La pratique régulière de la détente de la musculature abdominale, associé a la pratique du Hara permet de développer un très réel point d’appui. Il s’agit en fait de développer ses racines physiques.


« Que serait un arbre sans ses racines ?
« Que serait une cathédrale sans ses fondations ? »

Il faut « mettre le poids à la base de la structure » sinon il ne peut pas y avoir de stabilité physique et sans stabilité physique pas de stabilité psychologique.

Tout méditant régulier sait bien à quel point cela est vrai. La pratique de Hara et (ou) du relâchement abdominal et intimement lié à l’accueil, à l’ouverture et à la vision juste. L’accueil est inséparable de la stabilité.

Bien sûr, l’accueil est fondamentalement l’expression de l’être et non une pseudo action du moi, mais il n’en reste pas moins qu’il est bon de donner sur la voie sa juste place au corps en général et au ventre en particulier. C’est un point d’appui considérable dont nous aurions grand tort de nous priver.


(Texte écrit en 2003)
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5 commentaires:

Anonyme a dit…

Développer ses racines physiques, sa base, sa stabilité.
Très grand merci Alain.
Karl

Olivier a dit…

Une solution pour les abdos Kro? ;-)

fishfish a dit…

Je t'aime et je t'adore, merci ipapy.

Anonyme a dit…

Je reçois ma 2éme part du "trésor" à mettre en pratique...
Vive mon ventre détendu.
J-P Haro-petto

Berit a dit…

merci Alain,tres beau a lire et encore mieux a essayer et a faire.
Tu m'etonne toujours.