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Sans doute je n’oublierai jamais le moine de Tokyo. Nous
étions arrivés ce matin là, 13 avril 1996, Douglas, Catherine, et moi-même dans un de ces
nombreux immeubles de Tokyo, réservés à des activités d’enseignement,
de conférences et de réunions en tous genres.
Des bâtiments modernes aux innombrables salles moquettées et
équipées de tout le matériel moderne audio et vidéo nécessaire. Nous étions en
avance et il n’y avait pratiquement personne, mais je savais, après
l’expérience des ateliers de Kyoto et d’Hiroshima, que cinq minutes avant l’heure prévue
pour le début de l’atelier, tous les participants seraient à leur place,
silencieux et déjà parfaitement attentifs.
Après un thé, dans une pièce annexe, nous sommes entrés dans la
salle. Une bonne centaine de personnes étaient présentes, mon regard fut irrésistiblement attiré par un homme au deuxième rang. Il me fit penser immédiatement
à Taisen Deshimaru. Un roc, une montagne, le crâne rasé, le visage impassible,
les yeux mi-clos il paraissait en méditation, comme d’autres participants
d’ailleurs, mais de cet homme se dégageait autre chose ; cette énergie
particulière que donne une longue pratique de la méditation.
Un moine zen à coup sûr, pensai-je. J’étais à la fois attiré et
impressionné par ce personnage que j’imaginais facilement sorti tout droit d’un
monastère perdu sous la neige dans une montagne du nord du Japon. Mais sa tenue
vestimentaire ne contrastait aucunement avec celle de l’assistance et il était
temps que j’arrête mon petit cinéma japonais intérieur, l’atelier commençait.
Rien à signaler de particulier pour la première journée, si ce
n’est cette ambiance particulière des réunions japonaises, ce mélange plutôt
sympathique, de recueillement, de respect, d’attention mais aussi de personnes
plongées (ou en tous cas, paraissant l’être) dans un profond sommeil, où je pus
encore apprécier, comme dans les deux ateliers précédents, la qualité et la
profondeur, pour le moins inhabituelle, des questions et des témoignages.
Le
dimanche matin, après l’introduction qui m’échut au tout dernier moment (bon
exercice), ce fut l’expérience du sac en papier. Une fois terminé le chaleureux
et fraternel échange en duo qui fait toujours suite à l'exercice du « paper bag», Douglas proposa un
moment de questions-réponses ou de partage général. Après l’intervention d’une jeune japonaise et la réponse de Douglas, mon niveau de vigilance augmenta de
plusieurs crans, « mon moine zen », demandait la parole. Je dis bien :
demandait, car tous les intervenants respectaient une immuable étiquette qui
ferait le délice des animateurs de stages et autres ateliers français. L’homme
au crâne rasé prit la parole et d’entrée, il confirma mon intuition :
« Je
suis moine zen, et je pratique très intensément depuis plus de trente ans pour
découvrir ma véritable nature, sans succès. Je ne sais pas comment, je suis
arrivé dans cet atelier. Depuis hier matin, vous nous proposez des exercices
pour « jardins d’enfants ». Sa voix commença à se voiler légèrement, il
continua : « Je sais maintenant en toute certitude, que grâce à ces exercices,
j’ai découvert ce que je cherchais ».
Des larmes coulaient doucement sur ses joues, le silence et l’attention
étaient à son comble dans la salle. Nous étions tous très émus et très heureux. Le moine conclut
par des paroles de gratitude en demandant à Douglas l’autorisation d’utiliser
les exercices pour partager le trésor qu’il venait de découvrir avec les
membres de sa communauté.
Vous imaginez facilement la réponse de Douglas, qui tout en
expliquant l’absence de droit d’auteur ou de royalties sur les différents
exercices, exhorta le moine au partage. Après l’atelier, j’eus l’occasion de
parler un peu avec cet homme, très peu en fait mais bien assez pour communier
avec lui à partir de cette Lumière que nous sommes, bien assez pour me
reconnaître dans ces années d’effort, d’ascèse quelque peu désespérée, dans
cette résignation et cette amertume d’une recherche qui n’aboutit pas. Mais
bien assez aussi pour lire, sur son visage, la joie de la découverte de
l’évidence, l’étonnement devant la simplicité de la procédure d’accès, et le
bien légitime enthousiasme.
Depuis ce jour, j’ai souvent raconté cette histoire, j’y ai
souvent pensé aussi. Je me suis dit, que depuis plus de trente ans, Douglas
apporte inlassablement une réponse, la réponse à des personnes qui souvent ne
se sont pas encore posé la question correspondante. Une graine est semée, sans
doute. Mais, souvent, il y a une difficulté, quelquefois même, une
impossibilité pour valoriser la découverte que l’on vient de faire. C’est comme
de donner un diamant à quelqu’un qui ne connaît encore que le verre coloré. Il
le trouve intéressant et peut-être même beau mais il ne peut encore en réaliser
la valeur. Tout en écrivant ces lignes, je réalise que bien sûr, je parle aussi
de moi. C’est dans l’ordre, c’est le jeu du divin, et cela ne doit en aucune
façon tiédir notre élan et notre enthousiasme du partage. Qu’y-a-t-il d’autre
que nous pouvons vraiment partager ? et puis, partager, c’est enraciner
l’expérience, n’est-ce pas ?
Le moine de Tokyo se posait la question depuis bien longtemps et
avec la ferveur, la rigueur et l’intensité de ces êtres qui se consacrent à la
Quête du Sens. Le terrain était prêt, la digue conceptuelle ne demandait qu’à
rompre, les exercices ont fait le reste.
Je ne sais pas, je ne saurais peut-être jamais comment il digère et
intègre cette bienfaisante rupture. Aucune importance, je sais simplement que
je n’oublierai jamais le « moine de Tokyo ».
Ce texte a été écrit en 1996, publié en février 97 dans le n°0 de la revue "Vivre sans tête" et déjà posté sur le iPapy le 8 février 2009
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6 commentaires:
Merci Ipapy pour l'enthousiasme partageur !!La graine plantée.. les conseils du jardinier donnés ...ensuite Inch Allah...
Karl
Thank God, for the Monk...
J-P gepetto
J'adore ce texte Alain!
Merci, c'est si "puissant".
Olivier
Une merveille ce témoignage -
Hé bien, Alain, pour quelqu'un qui répète souvent
qu'il ne "sait pas" écrire !!…
Bon, en même temps, c'est vrai : ce n'est pas "toi"
qui as (ou avais) écrit ce texte magnifique et inspirant, c'est le texte lui-même qui s'est écrit "à travers" toi…
Merci donc d'être ce "canal", et merci de laisser passer si souvent, pour notre joie à tous, la Joie toute simple (que tu ES) à travers le "canal"… que tu ES.
Ah, la Transparence… être l'Espace qui embrasse tout, c'est vraiment tentant, pas vrai !
Allez, on continue dans cette direction où il n'y a RIEN et où on ressent qu'on EST TOUT !
Je t'embrasse chaleureusement et de tout coeur,
Alain-René
Merci Alain.
Albert
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