jeudi 7 mars 2013

La mort au bout de la rue

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« Our culture finds this question of losing very difficult. It's very good about getting. Our consumer culture, especially nowadays, is all about getting, getting, getting. We throuw away those thigs wich were fashionable yesterday but are no longer fashionable today to get something new. We don't have that attitude, though, toward our own bodies or the bodies of others. We don't think that we too need to be recycled from time to time, but we do. It's ironical that in our society everybody talks very openly about sex, wich in other society is a big taboo. But in our society, the big taboo is death. »


« Notre culture a beaucoup de difficulté avec l'idée de perdre. Elle est très à l'aise avec celle de posséder. Dans notre culture de la consommation, en particulier aujourd'hui, tout tourne autour de posséder, posséder, posséder. On jette à la poubelle ce qui était à la mode hier et ne l'est plus aujourd'hui pour posséder quelque chose de nouveau. Cependant nous n'avons pas cette attitude en ce qui concerne notre corps ou celui des autres. Cela ne nous vient pas à l'esprit que de temps en temps nous avons besoin d'être recyclés nous aussi, et pourtant c'est le cas. Il est paradoxal que dans notre société tout le monde parle ouvertement du sexe qui est un grand tabou dans d'autres sociétés. Dans notre société, le grand tabou, c'est la mort. »
Jetsunma Tenzin Palmo, Into the heat of life, InpermanenceSnow Lion Ed p 3

Un des ashrams où nous séjournons en Inde est situé dans une impasse bordée d'arbres et cela fait plusieurs années qu'un mendiant, un homme assez jeune encore a installé son carton et ses quelques affaires à l'angle de la rue. Il semblait simple d'esprit mais les premières années, son corps maigre aux gestes ralentis se tenait assis, tendait la main. Parfois il déplaçait son carton et disparaissait pour quelques jours. L'année dernière, son regard est devenu de plus en plus vague. Peut-être était-ce depuis le début, peut-être est-ce venu récemment, je ne sais pas, en tout cas l'alcool qui fait des ravages en Inde avait pris possession de lui. Le voisinage lui a donné à manger mais peu d'argent car la moindre roupie sert à acheter un mauvais alcool pour sa mère et lui.

Lorsque nous sommes arrivés cette année, il était couché sous une couverture, immobile, maigre, recroquevillé, ses yeux absents ne semblaient plus rien voir. Sa mère assise à côté de lui le désignait sur notre passage d'un geste de supplique et d'impuissance. Un matin, sur le petit terrain de l'autre côté du grillage près duquel il gisait sur son carton a eu lieu une consultation médicale gratuite avec distribution de médicaments organisée par un des ashrams environnants. Je suis passée plusieurs fois, des femmes attendaient des médicaments et parlaient avec sa mère, il était de plus en plus immobile et silencieux. Quelques personnes du groupe se sont émues « Personne ne fait rien pour lui ? Qu'est-ce qu'on peut faire ? ». La réponse d'une femme qui vit en Inde depuis plusieurs années en a choqué plus d'un. «  Il n'y a rien à faire. Surtout ne lui donnez pas d'argent. Vous pouvez prier pour lui. »
C'est ce que j'ai fait. J'ai prié pour lui. Avec le recul il est évident qu'il était en agonie dès le début de notre séjour. Mais il est si difficile en particulier pour nous, occidentaux, d'être confrontés à notre impuissance devant la mort et à la mort elle-même.
Quelques jours plus tard, le 14 février, nous sommes rentrés alors que la nuit était tombée. Le carton était vide, les affaires avaient été rangées. Un peu plus loin il y avait une bâche orange qui recouvrait une forme ronde. J'ai pensé : il est mort et son corps recroquevillé est là, sous la bâche, puis tout de suite : « Non, on ne laisse pas un mort dans la rue, et puis la forme est trop petite. »
Le lendemain, la mère est venue à l'ashram demander de l'argent pour la crémation de son fils. Elle a fait le tour des voisins qui ont chacun donné quelque chose. J'avais envie de mettre des fleurs sur la bâche orange, pour dire qu'il y avait un corps humain là-dessous, mais j'ai demandé d'abord. On m'a expliqué que cela allait compliquer le rituel particulier des intouchables pour les morts si une étrangère, donc hors caste, avait un contact avec le corps en déposant des fleurs. J'ai alors continué à prier pour cet homme et sa mère. Le soir suivant le corps avait disparu et la mère avait repris sa place sur le carton.
La citation de Tenzin Palmo placée en exergue nous invite, face à une situation comme celle-ci, à nous situer sur un autre plan que celui où nous demeurons habituellement. Sur le plan que nous connaissons bien, nous avons tout un train de pensées, nous réagissons, souvent sous la forme de l'indignation face à une mort anonyme dans une société très dure pour ceux qui sont nés au bas de l'échelle. Ce genre de réaction n'est pas inutile et sur le plan relatif elle a engendré des mouvements politiques, des associations humanitaires et toutes sortes de belles actions de solidarité humaine. On peut même considérer que sur le plan de l'action, les mouroirs de Calcutta fondés par Mère Térésa sont une réponse plus qu'humaine tournée vers le grand lâcher prise.
Car c'est au grand lâcher prise que nous invite le texte de Tenzin Palmo.
Il nous met face à un coup d'audace possible : pouvons-nous voir que le bouleversement que nous éprouvons devant un corps sous une bâche dans la rue n'est pas seulement l'effet de notre générosité naturelle et de notre compassion ? Qu'il est le sursaut projectif et désespéré de notre attachement à notre propre corps que nous persistons à expérimenter comme notre seule réalité ? Et si nous faisions enfin l'expérience réelle du lâcher prise c'est-à-dire si nous laissions tomber l'identification à la forme du corps ?
Si nous laissions enfin sa chance à la phrase que l'Inde des Upanishads ne cesse de nous répéter : « Tu es cela » ?
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11 commentaires:

gege a dit…

fort ,tres fort . mais tres bon .il n`y a qu`a voir les cimetieres en occident ,l`attachement dure meme apres la mort !!!

gjmtenba a dit…

La mort est comme une ombre qui me suit partout.
Tout jeune j'ai vu les cimetières américains ( croix blanches ) et allemands ( croix grises ) en Normandie près des plages du débarquement, ainsi que Caen ville martyre... comment oublier cela et pourquoi devrais-je l'oublier ?
gjm
SVP Corinne j'ai bien du mal à lire ces textes aux couleurs pas assez contrastées !

Anonyme a dit…

Je me laisse nourrir par ce texte.
J-P gepetto

philippe a dit…

Corinne,ce matin,mon père est parti dans la grande Lumière.
Ce post et ton partage sont comme un écho à la mort de mon père.

Merci Corinne.

Stéphane a dit…

Merci.

Dimitri a dit…

e ne suis pas identifié au corps , et comme chacun , je suis celà -

Dimitri a dit…

- - - Et vive les fautes de frappe ,inévitable , on le sait bien - - -

LOUP DES STEPPES a dit…

Je reste au niveau pratique . Quelle que soit l'ientification au corps je ne comprends pas qu'on laisse vivre et mourir des gens dans la rue que ce soit en Inde ou en France ou ailleurs. La proximité des ashrams n'a servi à rien à Tiruvanamalaï .

Anonyme a dit…

Je crois que les hindous disent : c'est la volonté de Dieu. Du coup que les gens meurent ou pas ça ne fait aucune différence, pour Dieu, la Terre continue de tourner.

Ce n'est pas pour banaliser la souffrance, mais finalement qui c'est qui souffre, c'est l'égo, enfin c'est nous mais vu que nous sommes identifié a ce "moi" nous souffrons... puisque de toute manière ce "moi" est souffrance, il refuse, ne s'aime pas, et est chargé d'émotions.

Donc en faite c'est un jeu divin, pas mesquin, puisque en réalité (ultime) il n'y a personne qui souffre... enfin attention a ne pas croire en un égo qui ne souffre pas, ce qui est impossible ( a mon avis )puisque l'égo n'est que souffrance, division, refus etc ...

Lacher l'identification au corps, c'est le lacher prise ultime... mais c'est impossible a faire ! puisque ce n'est pas un faire c'est une grâce... on ne peut que s'orienter vers Cela mais en aucun cas lacher prise, on peut avoir l'intention de cela mais c'est tout ( a mon avis ), après on peut très bien se répéter, je ne suis pas le corps, je suis le Soi, mais ça changera rien, d'après ce que j'ai expérimenter. Et puis je ne crois pas que c'est nous qui allons vers l'éveil mais l'éveil qui viens a nous, aussi quand celui si se présente, il est conseiller d'être ouvert, de dire OUI, oser mourir a ce que je crois être...

Merci pour ce texte parmis tant d'autre et merci pour votre partage quotidien de nourriture spirituelle, c'est important et ça me fait du bien.

Florian

Anonyme a dit…

http://www.lemonde.fr/asie-pacifique/article/2013/03/16/une-touriste-suisse-victime-d-un-viol-collectif-en-inde_1849415_3216.html

L'Inde est belle mais il s'y passe des choses bien tristes, je crois que
Alain et son équipe devrait poster cet article du monde pour prévenir les pèlerins et touristes qui vont en Inde

Rafael

Jenny a dit…

Merci Corinne pour ce texte.
"Et si nous faisions enfin l'expérience réelle du lâcher prise c'est-à-dire si nous laissions tomber l'identification à la forme du corps ?" cette phrase résonne en moi, je vois mon corps et je pense "ce" corps, ce corps qui m'est donné un temps imparti, et que je dois habiter le mieux possible...c'est cela n'est ce pas?
"Il faut porter, porter intensément cette contradiction. « Aham brahmasmi », je suis le brahman, l’absolu, je suis l’atman non duel, infini, « sans-un-autre-que-moi », je suis l’unique Conscience qui ne naît pas, qui ne meurt pas, qui n’est ni ici, ni ailleurs, qui existe par elle-même, qui n’a été créée en rien, qui ne sera détruite par rien, sur laquelle rien ne laisse de trace. Et en même temps, je suis ce pauvre homme qui se débat dans l’existence, quand ça va bien pour essayer que cela aille encore mieux et, quand ça va mal, pour essayer d’échapper à l’étau du destin et à la peur..." dans "A la recherche du soi" tome 4 "Tu es cela".
Merci à toi et Alain de nous accompagner si bien sur le chemin.
Jenny