Notre ami Laurent Sarthou m'a communiqué un texte de Ken Wilber, (un instructeur américain) que je trouve particulièrement intéressant et aussi un peu dérangeant mais après tout, de temps en temps on peut se faire caresser à rebrousse poil.
Bien que court ce texte est très long par rapport au Blog et à nos habitudes sur ce blog. Je vais donc tenter l'expérience d'une diffusion en plusieurs épisodes.
A vos commentaires et bonne lecture:
TRANSLATION ou. TRANSFORMATION
Dans une série de livres (A sociable God, Up from Eden, The Eye of Spirit, par exemple) j’ai essayé de montrer que la religion a toujours rempli deux fonctions très importantes mais très différentes l’une de l’autre. D’un côté, elle agit de façon à créer du sens pour le moi séparé : en offrant des mythes, des histoires, des contes, des récits, des rituels et des reconstitutions qui ensemble aident le moi séparé à trouver du sens et à endurer les revers et les blessures du terrible destin. Cette fonction de la religion ne change pas nécessairement ni habituellement le niveau de conscience d’une personne ; elle n’offre ni transformation radicale, ni la possibilité d’une libération qui pulvérise complètement le sentiment d’être un moi séparé. Au contraire, elle offre consolation pour le moi, elle le fortifie, le défend et lui donne de l’importance. Tant que le moi séparé croit aux mythes, accomplit les rituels, dit les prières, et embrasse les dogmes, il sera, croit-on fermement, « sauvé » – soit dans l’immédiat dans la gloire de Dieu ou par les faveurs de la Déesse, soit plus tard dans une vie après la mort avec l’assurance d’un émerveillement éternel.
D’un autre côté, la religion a aussi servi – et cela le plus souvent pour une très très petite minorité d’individus – une fonction de transformation radicale, de libération. Cette fonction de la religion ne fortifie pas le sentiment d’être un moi séparé, elle le pulvérise totalement. Au lieu de consolation, elle apporte dévastation ; de retranchement, le vide ; de contentement de soi, une explosion ; de réconfort, une révolution – bref, plutôt qu’un soutien conventionnel de la conscience cette fonction provoque une transmutation, une transformation du fondement de la conscience elle-même.
On peut parler de ces deux fonctions si importantes de la religion d’une autre manière : la première fonction, celle qui crée du sens pour le moi, est un mouvement de type horizontal ; la seconde, celle qui appelle à transcender le moi, est un mouvement de type vertical (plus haut ou plus profond selon la métaphore que vous utilisez). La première, je la nomme « translation », la seconde, « transformation ».
Dans la translation, le moi accède simplement à une nouvelle façon de penser, de ressentir la réalité. On lui offre une nouvelle croyance – qui sera peut être holistique au lieu d’être atomiste, apportera pardon là où il y avait culpabilité ou sera relationnelle plutôt qu’analytique. Le moi apprend alors à interpréter son monde et son existence selon les termes de sa nouvelle croyance, nouveau langage ou paradigme, et cette translation nouvelle et enchanteresse agira, au moins de façon temporaire, en soulageant ou diminuant la terreur qui par nature est tapie au tréfonds du moi séparé.
Mais dans la transformation, le processus même de translation est mis au défi, observé, miné pour finalement être mis en pièces. Dans une translation typique, le moi (ou le sujet) accède à une nouvelle façon de penser le monde (ou les objets) ; mais dans la transformation radicale, le moi devient sujet d’enquête, il est scruté, saisi par le cou, et littéralement étranglé jusqu’à ce que mort s’ensuive.
Encore une fois, dans la translation horizontale – qui est de loin la fonction la mieux partagée, la plus étendue et la plus usitée de la religion – le moi devient, pour un temps, heureux dans son avidité, satisfait dans son esclavage, calmé face à l’épouvantable terreur qui est au cœur même de son conditionnement. Dans la translation, le moi pénètre endormi dans ce monde, et trébuche, myope et insensible, dans le cauchemar du Samsara, muni d’une carte cousue de morphine pour le guider. Tel est en effet la condition commune à toute l’humanité religieuse, condition que précisément les maîtres d’une spiritualité radicale et transformatrice sont venus défier et ont fini par défaire.
Car dans la transformation authentique, il n’est plus question de croyances mais de la mort du croyant ; plus question de translater le monde mais de le transformer ; plus question de trouver du réconfort, mais l’infini de l’autre côté de la mort. Le moi n’est pas là pour qu’on le satisfasse mais pour qu’on le réduise en cendres.
(à suivre)
6 commentaires:
Ca me rappelle un livre que j'ai lu à Hauteville : l'expérience libératrice.
Je crois qu'en parlant de ceux qui vont jusqu'au bout, Arnaud évoque les héros.
J'attends la suite avec impatience.
Merci Alain et attention aux autos...
amitiés
Christophe
texte tres interessant et il me semble tres juste.
Par contre je n'ai jamais connue la fonction translation de la religion,car je n'ai jamais fait partie d'un groupement religieux.
Biensure c'est possible de faire une religion de n'apporte quelle enseignement...et voila translation et transformation sont present.
Cette approche Translation-Transformation est utilisée dans la Sophrologie Caycédienne et illustrée par des schémas très clairs, de façon pratique.
Relisant des passages de bouquins soulignés par mon beau-père en 1975, j'y trouve des choses similaires écrites par les Rose-Croix Amorc en 1950.
Si le moi de cet homme a été détruit au lance-flammes - comme il semble le dire, sinon ce sont des supputations - qui parle ?
gjm
la translation conduit t' elle à la transformation?
D'abord changer ses habitudes pour ensuite les abandonner?
fish-fish,pas forcement.Mais,je trouve que ce n'est pas mal de changer les habitudes en "bonnes" habitudes,pour en suite les abondonner.C'est comme
prendre l'habitude de faire la meditation pour ensuite depasser ce faire car il n'y a plus de meditateur.Mais a-t-il vraiment besoin translation pour cet transformation?
Oui je suis d'accord avec toi Berit
ego malade , ego sain, libre !
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