mardi 25 mars 2008

Nostalgie





« Du grec nostos, le retour, et du suffixe algie ( mal, douleur) État de dépérissement et de langueur causé par le regret obsédant du pays natal, du lieu où l’on a longtemps vécu. »
Dictionnaire Robert analogique





J’ai la nostalgie du désert sans y être née, sans y avoir vécu. A ce que je sais nombreux sont ceux qui éprouvent cette nostalgie, du désert, de la montagne immense, de la mer infinie, de la forêt profonde. La nostalgie des lieux où la seule limite visible est celle de l’horizon, la seule séparation celle de la terre et du ciel, magique point de bascule du jour et de la nuit.



Le désert rude du Hoggar, ce chaos volcanique de pierres et de terre nue est une porte ouverte sur la Vie, ample, simple, vaste. Je viens de la ville, d’un espace cloisonné, étroit où l’on passe son temps dans des bureaux, des maisons, derrière des murs et sous des toits. Je viens d’un monde qui vit dans la séparation, l’isolement et met tout son génie à dépasser ces limites par une fabuleuse technique de communication par téléphones cellulaires, ordinateurs, GPS, trains à grande vitesse, avions, fusées... Je viens de la civilisation technologique où le mot sauvage évoque la barbarie et le danger, où l’on mange bio en étouffant la terre sous le bitume où le temps qui se mesure avec les montres est devenu une denrée rare. Je viens d’une époque où le luxe est dans la possession d’objets personnels.




Et j’ai la nostalgie d’un lieu et d’un mode de vie où les murs n’existent pas ou de manière très éphémère. « Eseber » natte tressée que l’on replie au lever du jour, toits provisoires, bâches qui ne servent qu’à s’abriter du soleil ou à se protéger du froid de la nuit, murs qui n’appartiennent à personne, parois de grottes,ombre fraîche des « abser » en plein midi. La personne à qui je parle est là, présente. La solitude est un privilège et la rencontre une vraie joie. Les hommes du désert ne sont pas meilleurs qu'ailleurs mais ils vivent dans des conditions qui rendent la solidarité nécessaire.Ici tout est sauvage. L'aridité du terrain empêche toute culture donc toute appropriation de la terre, mur de clôture...etc. Sauvage signifie simplement donné par la nature, la Vie, Dieu.


























L’eau est donnée, les campements ne s’installent pas autour d’une source pérenne, mais un peu plus loin laissant l’accès libre. On dit que les « djenoun », les esprits malfaisants, rôdent autour des points d’eau et, en effet, le sens de la propriété, le vol, la peur rôdent; la sagesse est de s’en tenir éloigné. La connaissance des plantes est un art qui se transmet et qui malheureusement se perd. Le temps n’est pas fait pour produire mais pour vivre. Pour survivre ces dernières années car l’existence dans les campements est difficile depuis les grandes sècheresses des années 80.

Il y a une grande douceur à ne pas plus percevoir le temps cloisonné en heures, minutes, secondes. Le temps est fluide, juste un rythme lent entre la chaleur blanche du jour et le froid silencieux de la nuit.
Le temps est immense dans le désert : la vieillesse du monde est là, visible, sur les parois des grottes où d’autres humains ont dessiné des animaux suggérant une époque lointaine de pâturages verts, elle nous étreint au hasard d’un coquillage ramassé en haut de Mezeroudj, elle s’immobilise dans le tracé sinueux des oueds, ces rivières de sable creusées par des déversements d’eau une ou deux fois dans l’année . En Tamahacq, un mot, « irou » veut dire simplement : il y a longtemps.
Et tous les touristes demandent invariablement : A quelle époque ?
Et les guides Touaregs répondent : il y a 4000 ans.
Les touristes sont contents.








C’est dans le désert que se trouve le vrai luxe, la profusion, l’abondance.
Le luxe de l’Infini.
Du ciel profond et des étoiles innombrables la nuit, des pierres, du vent, l’infini de l’Ouvert.
Il n’y a pas de temps spécifique pour contempler, pour honorer Dieu ou la Vie, comme vous voudrez nommer l'innommable, tout le temps lui est dédié. Aussi loin que porte la vue à 360° c’est Sa création et non celle des hommes qui nous émerveille. L’immensité extérieure, l’absence de séparation, de morcellement de l’espace et du temps, la soumission naturelle aux rythmes et à la simplicité du vivant, tout nous parle de notre pays natal, de la non-séparation d’où nous venons, de l’infini où nous avons longtemps vécu. Tout nous invite à dé-couvrir ce qui en nous n’a pas de limite, l’ espace du cœur, Oul en Tamahacq.


Tout nous appelle au retour, à l’immensité intérieure.







17 commentaires:

Daniel a dit…

Très beau texte qui mets l'eau à la bouche! Vivement l'automne!

Anonyme a dit…

Que c'est beau Corinne...
Serais-tu un auteur qui se cache ?
Merci pour ce trés beau et trés touchant texte...je ne peux m'empêcher (le mental) de comparer avec bien des textes sous presse qui n'ont pas cette beauté...est-ce injuste? ..ici ça coule...comme quoi, le texte peut ou peut ne pas couler de source...c'est mon ressenti... J'aurais envie de lire un livre de Corinne ...et de jetter au panier bien des textes d'ego dont les éditeurs de littérature se repaissent...préférant des illustres journalistes qui n'ont rien à dire à de vrais plumes qui nous font grandir ! Corinne...au fait...tu es une plume, ça se lit !

Julie a dit…

Pareil que Jérôme ! ;-)... en ouvrant les commentaires j'allais écrire à peu prés la même chose... Merci Corinne pour ces beaux partages de coeur à coeurs.

ipapy a dit…

Merci Jérôme de ce beau et vrai commentaire sur un très beau texte, moi aussi j'attends le livre.
Je suis très fier. MERCI

Anonyme a dit…

Oui merci, il donne faim ton texte Corinne. Je crois quand même qu'il y a plus de de djennoun, peut être une contraction de "djinn" et "majnoun" (esprits fous) dans mon univers qu'au près de la source du Hoggar.

Jmarc

Anonyme a dit…

C'est un beau texte.
Corinne doit, nous doit, d'écrire c'est certain, et pourquoi pas avec Alain ?
J'ai depuis mon enfance une nostalgie des Anciens. Le retour des 10.000 du Grec Xénophon. Les Asiates, les Hittites, les Mazdéens... Tout cela nourri par les lectures dans Planète de Pauwels.

Nostalgie c'est peut-être aussi la souffrance de la perte de son Ost (clan, espèce, tribu) dans les sagas scandinaves...? Non-Ost.

La vraie nostalgie est sans doute celle de l'un-infini.
P.S. Les Djenouns c'est comme les Djins ? A ne pas confondre avec les Djounounes ou Djoundis ( S'il y a un Pied-Noir dans la sangha il me comprendra !)
gjm

Anonyme a dit…

J'ai eu l'occasion dernièrement de découvrir le désert du Hoggar et me suis laissée toucher par cette grandeur qui nous rapproche du Divin. Dans ce désert l'Etre est présent, il est palpable, c'est vrai qu'il reste au retour un arrière goût de nostalgie;
Personnellement je me suis dit j'ai vu le Tassili, maintenant je peux mourir... et n'ai qu'une hâte y RETOURNER !
Daiadou

Anonyme a dit…

Oui, tu écris bien Corinne, et le désert te porte, et le ciel nous accueille sous sa tente en écoutant la conteuse...
Livre ou pas, le blog est le livre des temps modernes, et vraiment il me suffit. Sans doute le fait de se savoir lu est une motivation supplémentaire.
Ne vas pas trop longtemps au désert, sinon tes pages vont me manquer...

Mabes a dit…

magnifique évocation, de ressentis puissants qui touchent l'âme du lecteur aussi !
Peu d'endroits, peu d'expériences donnent ce goût de la vraie nostalgie.
Quelle belle langue, oui, pour lancer cet Appel du Désert !

Acouphene a dit…

Ton texte et ces photos sont une belle préparation à entrevoir, à laisser monter l'émerveillement ! Bon séjour dans ce pays aux ocres visages... au plaisir de te rejoindre !

Geneviève a dit…

De tout coeur et de toute tête avec les commentaires qui précèdent... et avec ton texte, Corinne ! Oui, cela fait vraiment envie... ou plutôt, rien qu'en te lisant je crois ressentir ce que c'est... voilà un beau support de méditation-contemplation. Merci, Corinne.

Sharada a dit…

Quelle belle évocation/préparation!
Bon retour à la Source, ma chère Corinne.
Je t'accompagne en esprit, grande soeur.

Anonyme a dit…

"honorer Dieu ou la Vie", c'est donc honorer ce que nous sommes vraiment : l'ETRE, JE SUIS.
Je l'écris, non parce que je le vis véritablement, mais parce que c'est le vrai désir de ma profondeur, qui se retrouve dans le moindre de mes désirs : que ce soit le chocolat, regarder la mer, caresser les seins de l'épouse, etc...
J-P honore-petto

Anonyme a dit…

Et pouvoir dire enfin : "Père, me voici ; je suis revenue !"
Merci Corinne de ce splendide texte qui met fin à l'exil.
Isabelle

Anonyme a dit…

oui ça fait envie!! mais pourquoi? parce que c'est plus facile d'y lacher ses valises et de vivre pleinement l'ici et maintenant? c'est sûr: l'espace, le temps, le silence .... tout s'y prête .... nous sommes capables d'en apprécier la qualité le temps d'une retraite, de vacances, d'un séjour court, mais serions nous capables d'y vivre vraiment toute notre vie? cette vie "paradisiaque" est rude, toute la vie d'un homme, avec la perspective qu'elle le sera aussi pour ses enfants et petits enfants ....
ça n'enlève rien à la qualité du désert et de ses habitants
de là à parler de nostalgie du désert .....? ce n'est pas vivre pleinement notre ici et maintenant, dans la société dans laquelle nous sommes, à l'aube du XXI° siècle où la tâche est incontestablement moins facile; mais c'est ainsi, c'est notre place.tout le monde ne peut pas envahir le désert sous prétexte que la VIE y est plus belle

Daniel a dit…

Le contraire du silence n'est pas le bruit, mais tout ce qui nous sépare de nous-même....

Christiane Singer raconte cette histoire hassidique.
Un jeune garçon de 4 ans disparaît un jour dans la forêt. Son père veut comprendre le pourquoi de ses fugues:
-Pourquoi t'échappes-tu sans cesse dans la forêt?
- Je cherche Dieu, dit l'enfant.
- Mais, dit le père, Dieu n'est-il pas partout?
- Oui, dit l'enfant, Dieu est partout.
- Dieu n'est-il pas partout le même?
- Oui, dit l'enfant, Dieu est partout le même. mais moi je ne suis pas le même partout.
Ce pourrait être là la raison qui nous a amenés ici, au désert: Dieu est partout mais nous ne sommes pas les mêmes partout.
Offrons-nous donc à ce silence.

"Du bon usage des crises" (Christiane Singer, Albin Michel, Espaces Libres, 1996)

Corinne a dit…

Merci pour cette citation Daniel, je la trouve tellement juste.