jeudi 28 février 2008

Désert et lunes

A quelques semaines du départ dans le Hoggar et pour répondre à une question qui ne m’a pas été posée cette fois-ci, mais qui l’a plusieurs fois été lors des autres départs…

C’est une question que les femmes posent mais dont la réponse me semble-t-il peut intéresser les hommes aussi. Plusieurs femmes se sont inquiétées de la possibilité d’avoir leurs lunes ( règles) durant la randonnée dans le désert. Et c’est vrai, ce qui nous est le plus souvent transmis dans nos sociétés concernant les lunes nous prédispose à vivre cette période comme un « problème » voire une souffrance. Et la perspective d’être en groupe et en randonnée ajoute à la difficulté… Parfois aussi les femmes ne ressentent aucune difficulté mais cela peut être simplement parce qu’on leur a appris à gommer l’expérience très particulière des lunes, à en faire un moment comme les autres.

Chez les amérindiens, on parle des lunes pour désigner la période des menstruations car on n’a pas oublié que le cycle féminin est naturellement en correspondance avec celui de la lune. Ou l’était, lorsque nous vivions assez proches de la nature pour que cette concordance se mette en place. L’astrologie a aussi gardé en mémoire le lien du féminin et de la lune puisque les deux planètes qui représentent le féminin dans un thème sont la lune et Vénus. La lune dans le ciel immuable est la manifestation du changement perpétuel tout en répétant un cycle identique. Chacune des phases de la lune nous parle de l’expérience du féminin : de la plénitude ronde et éclatante de la pleine lune à l’obscurité, la disparition, le néant de la nouvelle lune en passant par la délicatesse d’un fin croissant. La lune nous rappelle notre lien à la terre, à l’incarnation et à l’impermanence. Elle nous rappelle que nous ne brillons pas, nous sommes éclairés… La vie et la lumière nous sont données. L’axe immobile n’est pas à chercher du côté de notre humanité soumise au changement et à l’acceptation joyeuse de ce changement. Dans les sociétés traditionnelle amérindiennes cette période particulière du cycle féminin était honorée par les femmes entre elles et par l'ensemble de la communauté. Comme on respectait l’énergie propre de chaque saison, la particularité de chaque âge de l’existence, on respectait aussi « ce que dit la nature » à travers l’expérience des lunes que traverse chaque femme pendant une quarantaine d’année de son existence.

Et que dit la nature au moment des lunes ? Elle nous parle du processus de création et de transformation, de la nécessité de perdre, de laisser s’écouler ce qui ne sert plus… C'est un moment où naturellement nous sommes dans une énergie de "déstructuration" : le corps et le psychisme laissent partir ce qui ne sert plus la Vie, et c'est cette "mort" qui permet à un nouveau cycle, à une nouvelle possibilité de fécondité d'émerger.Nous sommes en contact avec la force de transformation de la Vie, son intelligence qui nous dépasse, avec le cycle mort renaissance.


Cette réceptivité particulière est donc aussi une réceptivité au chaos et à la mort. Le besoin de ralentir notre activité et de nous intérioriser davantage est naturel, et s’il n’est pas respecté, honoré, cela peut engendrer de grandes perturbations pour les femmes bien sûr mais aussi pour toute la communauté. L’héritage transmis aux jeunes filles à propos des lunes est à la fois bien pauvre et bien lourd. Il est à l’image d’une société qui accorde si peu de valeur réelle à la réceptivité, au non agir, au chaos, à l’expérience consciente de la mort, à l’expérience de la maternité et de l’accouchement, au lien profond avec la nature, à la contemplation, au féminin.

Si une femme est dans ses lunes au moment du voyage, elle peut vraiment le vivre comme un cadeau. Une occasion d’être plus en contact avec le féminin et plus en contact avec le désert. Car l’énergie dans laquelle elle se trouve va dans le même sens que l’expérience du désert.

Le désert, en simplifiant nos activités quotidiennes, nous fait voir plus clairement ce qui n'a pas ou plus d'utilité dans nos existences ou encore ce que nous avons négligé: le lien avec l'Esprit, la réceptivité au Mystère, l'émerveillement devant la Vie. Il nous invite à nous arrêter d’agir, de penser, pour simplement vivre l’instant, à laisser le superflu s'éliminer de lui-même. Il nous offre la possibilité de repartir plus légers et plus simples, plus conscients de la valeur de la Vie. En tamahacq, la langue des Touaregs du Hoggar, des Kel Ahaggar, l’eau et la vie se disent avec deux mots très proches : aman et iman. La rareté de l’eau nous fait sentir sa valeur. La simplicité de la vie nous fait sentir sa valeur.

Si nous lui laissons sa chance, si nous sommes réceptifs au désert comme une femme dans ses lunes, il peut être une expérience de mort et de renaissance.

21 commentaires:

Julie a dit…

Ceci n'est pas un "commentaire"... mais un partage ;-)... La femme que je suis est sincérement heureuse de ce partage que tu offres... pour nous tous c'est essentiel... et depuis que j'en ai conscience ma vie n'a cessé de "mourir" et de se transformer... bien sûr qu'avant les transformations et le chaos étaient là aussi, mais à un endroit j'étais figée, emprisonnée, blessée et laissée pour compte... aujourd'hui accueillir, guérir, créer, ressentir sont à chaque fois que j'en ai conscience avant tout en résonnance avec mon centre créateur.
"In lak ech" disent les Mayas ( j'ai appris ça aujourd'hui...) ça veut dire "je suis un autre toi"

ipapy a dit…

Pranam à vous deux

Anonyme a dit…

Partages de vous deux qui me touchent dans ma féminité et qui me renvoie à l'essentiel de ce que je suis et de ce que j'en fait : ma vie de femme !
J'ai adoré lire ce texte ; il participe au processus de réconciliation... ; Corine, tu touches vraiment... La lune aussi ! sourires.
Pour terminer sur elle, sur la lune donc :
"Elle nous rappelle que nous ne brillons pas, nous sommes éclairés"
Et si nous laissions "couler" en toute humilité, sans peur, en observant ses différentes phases dans le ciel, mais aussi en nous !!
La mort au vieil Homme ?
Oh oui.....
Merci grandement Corine et Julie.

Anonyme a dit…

awo ! belles et grandes femmes !

Anonyme a dit…

La femme fluide, qui coule sur des flots fécondants de la goutte timide au torrent endiablé.
Et la femme lune, qui transite sur des chevaux d'argent de l'obscur inconscient à l'éclatante réalité.
La femme... Être femme...
Il y a un an, le désert, les lunes et Corinne se sont réunis sous le même soleil pour me donner ma première leçon. Cette leçon primordiale qui me fait dire aujourd'hui combien il fait bon être femme.
Merci Corinne, le désert et les lunes !
Isabelle

alain-rené a dit…
Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.
alain-rené a dit…

Merci, chère Corinne pour ce beau texte sur le cycle "mort-renaissance" et son parallèle avec le cycle féminin en particulier.
A noter : si vous, les femmes, ne connaissez pas le livre magnifique qui s'intitule : "TERRE", de Marianne Williamson, dans lequel il est suggéré que les femmes devraient « déposer le sang de leurs règles dans le sol pour nourrir la terre », ce qui, selon l'auteur, « éviterait de devoir verser le sang des hommes par les guerres », lisez-le vite !
Alors, qui sait, grâce aux femmes qui voudront bien suivre ce conseil, la Paix sur Terre pourra peut-être advenir plus vite que ce que croient les hommes belliqueux, conquérants, égo-centriques ! !
Un homme qui aime le Féminin depuis… des lunes !

Julie a dit…

Merci Alain René pour ton partage, les hommes attentifs et à l'écoute au sujet de la féminité sacré sont précieux, trés précieux... je ressens personnellement que plus que jamais le temps est à l'union du féminin et du masculin dans leurs essences sacrées...faire de l'Amour, créer de l'Amour, construire de l'Amour... vite on en a tous besoin !

Anonyme a dit…

Alain René, un grand merci aussi pour ce message d'espoir...
Julie, que rajouter à ce que tu dis !?
Tout est dit, les mots sont philosophie ; les actes.... ah oui, des actes !
Bonne soirée à vous tous.

Nadia B a dit…

Est-il possible se participer à une marche dans le désert avec toi (vous) ?
Si oui, comment ?
J'aimerai beaucoup vivre ça (avec ou sans lune !)

Anonyme a dit…

Je suis très touché par ton texte, Corinne, et par les partages de chacun et chacune. En vous lisant et en laissant ce commentaire j'ai le sentiment de pénétrer dans un univers sacré. Féminin, intimement féminin. Pour ma part je me sens un lien spécial avec la lune. Je m'adresse à elle comme à une amie, j'ai l'impression qu'elle m'aime et veille sur moi et je me sens plein d'amour pour elle. Et je vois quelque chose de sacré dans "les lunes des femmes".

Ann a dit…

Elle nous rappelle que nous ne brillons pas, que nous sommes éclairés...


Très fort!

Un tout grand merci.

Anonyme a dit…

Cela me rappelle une indication de Claudie (de mémoire) :
"ta partie masculine s'épanouira si tu laisses émerger de plus en plus ta partie féminine, qui seule peut recevoir, nourrir le masculin en toi."
Cette phrase m'a beaucoup touché à l'époque, je la garde dans le coeur, même si au quotidien je la vis encore peu...
J-P fémino-petto

Anonyme a dit…

Merci pour ce texte et ce qu'il engendre ce soir, tellement important et précieux : Hymne au Féminin...

laurence a dit…

Ton texte est de toute beauté! Ah que j'aurais aimé qu'on me dise ça dans mes années de premières lunes... Car hélas, on nous enferme vite dans l'embarras, celui aussi de nos bruits et odeurs corporels, quelle bêtise, et quel fort conditionnement! Lunes est égal à féminité, fin des cycles est égal à changement, vieillissement. Je suis dans cette partie de la vie, et c'est tout aussi intéressant de méditer sur cet aspect. Là encore, nos vues occidentales n'aident pas beaucoup!

Anonyme a dit…

Et moi qui comptait sur la médecine pour interrompre mes lunes en vue d'un voyage dans le désert du sud marocain en avril!!! Il va falloir que je j'afronte mes peurs et surtout celle d'assumer cette féminité et mon intimité face au regard des autres dans un endroit où l'on ne peut pas forcément s'isoler entre 4 murs et derrière un verrou
Ouh lala
isabelle au bois dormant

philippe a dit…

C'est une sadhana,oui.J'apprends un peu plus sur le rôle de la lune ds nos vies.

Acouphene a dit…

On touche aux mystères de la vie... Michele Théron (naturopathe) dit : "Dans cette symbolique qui fait de l'homme le soleil ou le ciel, de la femme la lune ou la terre, la sexualité est ce qui va permettre de relier l'un à l'autre notre ciel et notre terre, en traversant notre chair pour illuminer notre coeur jusqu'à notre âme et nous faire grandir à l'infini." Il faut également lire Annick de Souzenelle sur la symbolique du corps... Le corps est vraiment le temple du mystère !

Anonyme a dit…

en vous lisant tous je suis très émue par ces partages merveilleux; sur la femme et l'homme. car pour moi c'est notre guérison à TOUS. la terre -le ciel. le soleil-la lune. le féminin-le masculin. l homme-la femme plus de séparation une ré-Union. un grand vent d'Amour. Vive la vie. un grand AWO à chacun de vous.

Anonyme a dit…

Superbe. Merci Corinne pour ce texte qui me touche beaucoup, en tant qu'homme, époux, père... et ami de la lune.

Stéphane a dit…

Merci pour le sens.