vendredi 15 février 2008

Koan


Voici un extrait d’un livre dont il a déjà été question sur ce blog. Pierre-François de Béthune est moine bénédictin et il est responsable du dialogue inter monastique. Il parle avec clarté, honnêteté et ouverture de la rencontre entre deux traditions, en l’occurrence le zen qu’il a découvert au Japon et la tradition chrétienne à laquelle il appartient.



« À la réflexion, il faut, je crois, éviter deux écueils. Le premier consiste à limiter et finalement à manquer la rencontre. J’ai vite compris que je ne devais pas essayer de faire du « zen chrétien ». Nous n’avons que trop procédé ainsi dans le passé, en prélevant sans beaucoup de scrupules dans une autre tradition ce qui nous était utile, quitte à le « baptiser » pour construire une nouvelle synthèse à notre usage.Cette tentative de retirer une « technique « de la méditation zen en la retirant de sa « gangue païenne » (sic), est non seulement peu respectueuse mais stérile. Le zen, comme toute les grandes traditions spirituelles, constitue un ensemble sans cesse réélaboré par des personnes. Nous ne pouvons donc pas nous borner aux méthodes et aux intuitions, car la vraie rencontre concerne les personnes. Quand un chrétien rencontre un bouddhiste, il ne peut s’agir que d’une rencontre interreligieuse. Ce ne serait pas respecter notre interlocuteur que de passer sous silence ce qui l’anime le plus profondément.
Mais ce désir de respect absolu ne doit pas inhiber toute approche. Un jour, un maître zen m’a ouvert les portes de sa tradition et j’y suis entré comme un hôte qui sait que tout ne lui est pas permis, mais qui fait confiance à celui qui lui offre l’hospitalité. J’essaie donc de e pas m’approprier tacitement ces méthodes empruntées et de ne jamais oublier ceux qui ont transmis le zen jusqu’à ce jour, depuis le Bouddha jusqu’à Suzuki Sochu Röshi. Malgré des études assidues, je suis cependant bien conscient que ce monde me reste étranger. Il me fascine mais des éléments importants me restent incompréhensibles. Par ailleurs, les limites que m’impose mon appartenance religieuse chrétienne ne me permettent pas de recevoir l’entièreté de ce don.
Mais ce que j’en reçois est déjà tellement précieux ! C’est pourquoi je veux éviter l’autre écueil. Il y a en effet une autre manière de manquer la rencontre en prétendant, comme le font certains bouddhistes occidentaux, qu’on ne comprendra jamais rien au zen tant qu’on n’est pas devenu soi-même bouddhiste. C’est vrai : sans une appartenance personnelle à une Sangha ou une Église, il est impossible de bien saisir tout ce qui caractérise une religion. Mais cela ne devrait pas mener à un exclusivisme étroit. Je ne crois pas que la logique du « tout ou rien » soit légitime. L’alternative n’est pas de « récupérer » le zen ou d’ « être récupéré par lui ». Il existe une autre voie. Les univers spirituels ne sont pas absolument incompatibles, voire exclusifs. Ce serait désespérant de penser que nous ne pouvons bien nous développer que dans notre seule tradition. L’histoire atteste le contraire, et en particulier l’histoire du zen, toujours désireux de nouer de nouveaux contacts. Oui, il est possible de trouver une manière juste de conjuguer nos forces, dans un contexte qui dépasse les seules méthodes spirituelles. Au stade ou nous en sommes, de telles rencontres sont nécessaires, indispensables, même si elles sont aussi, d’une certaine manière, impossibles. Je vois là un bon défi, d’ailleurs typiquement zen ! »

L'Hospitalité sacrée
entre
les religions

Pierre-François de Béthune
Albin Michel p 80-82

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Je crois qu'il y a un verset du Coran qui dit : ALLEZ CHERCHER LE SAVOIR AUX BESOINS JUSQU'EN CHINE ! Il invite à une ouverture d'esprit et à une recherche de la vérité si besoin dans d'autres traditions sans pour autant se disperser ... si je comprends bien le verset ?!
Merci en tout cas pour ce livre
Karl

Anonyme a dit…

Vraiment subtil à saisir, entre "je m'approprie" ou "je rejette", pour me rapprocher de voir, ressentir, m'ouvrir, me laisser toucher...
Je m'y casse le nez régulièrement, mais comme disait Georges de St Bonnet :"Tomber cent fois par jour, pourvu que cela soit sur un chemin montant."
Belle et fructueuse "ascèse" pour tous...
J-P répeto-petto