Je me suis toujours passionné pour le thème du libre-arbitre et du déterminisme. Vous connaissez la position des grands figures de la spiritualité indienne. Je pense à Ramana Maharshi en particulier, mais connaissez vous ce texte de Léon Tolstoï . Isabelle Rodde qui vient de relire "Guerre et Paix" a découvert ce qui suit à la fin du livre. C'est un peu long et très sérieux pour un dimanche, mais ça vaut la peine de s'y coller.
(…) Tous les cas sans exception dans lesquels augmente ou diminue l’idée que nous nous faisons de la liberté et de la nécessité n’ont que trois fondements :
1) le rapport de l’homme qui a accompli l’acte avec le monde extérieur (l’espace).
2) Avec le temps
3) avec les causes qui ont déterminé son acte. (…)
Si nous considérons l’homme seul, hors de ses rapports avec tout ce qui l’entoure, chacun de ses actes nous paraît libre. Mais si nous voyons ne serait-ce qu’un seul de ses rapports avec son entourage, si nous voyons le lien qui le rattache à quoi que ce soit (…) même à l’air qui l’entoure (…) nous voyons que chacune de ces conditions exerce sur lui une influence et commande un aspect au moins de son activité. Et plus nous voyons de ces influences, plus diminue l’idée que nous nous faisons de sa liberté et plus augmente celle de la nécessité à laquelle il est soumis. (…)
Si nous considérons le cas d’un homme dont le lien avec le monde extérieur est le mieux connu, le laps de temps entre l’acte et le jugement (de ses conséquences) le plus long et les causes de l’acte les plus accessibles, nous avons l’impression de la plus grande nécessité et de la liberté la plus réduite. Mais si nous considérons un homme dans la dépendance la plus faible par rapport aux conditions extérieures ; si son acte a été accompli dans l’instant le plus proche de l’instant présent, et que les causes de son acte nous soient inaccessibles, nous aurons l’impression de la nécessité la plus réduite et de la plus grande liberté.
Mais dans un cas comme dans l’autre (…) nous ne pourrons jamais nous représenter ni une liberté totale ni une nécessité totale. (…)
Pour nous représenter un acte humain soumis à la seule loi de la nécessité, nous devons admettre que nous connaissons le nombre infini des conditions dans l’espace, la période de temps infinie et la suite infinie des causes.
Afin de nous représenter un homme absolument libre, nous devons nous le représenter seul, hors de l’espace, hors du temps et hors de la dépendance des causes.
La raison dit : 1) l’espace avec toutes ses formes, -la matière – est infini et inconcevable autrement. 2) Le temps est un mouvement infini sans un instant d’arrêt et il est inconcevable autrement. 3) L’enchaînement des causes et des effets n’a pas de commencement et ne peut pas avoir de fin.
La Conscience dit : 1) Seule je suis et tout ce qui existe n’est que moi ; donc je renferme l’espace. 2) Je mesure le temps qui fuit par un moment immobile du présent dans lequel j’ai conscience de vivre ; donc je suis hors du temps. 3) Je suis hors de toute cause car je me sens la cause de toutes les manifestations de ma vie.
La raison exprime les lois de la nécessité. La Conscience exprime l’essence de la liberté. La liberté que rien ne limite est l’essence de la vie dans la conscience de l’homme. La nécessité sans contenu est la raison humaine avec ses trois formes. (…)
C’est seulement en réunissant liberté et nécessité que l’on arrive à une représentation de la vie de l’homme. Un homme totalement libre n’est plus un homme. Un homme totalement déterminé n’est plus un homme. (…)
De même que pour l’astronomie la difficulté d’admettre le mouvement de la terre venait de la nécessité de renoncer à la sensation directe de l’immobilité de la terre et à la même perception du mouvement des planètes, ainsi pour l’Histoire, la difficulté d’admettre la soumission de la personne aux lois de l’espace, du temps et des causes tient à la nécessité de renoncer à la sensation directe de l’indépendance de sa personne.
Mais de même qu’en astronomie, la nouvelle conception disait : « C’est vrai, nous ne sentons pas le mouvement de la terre, mais en admettant qu’elle est immobile, nous aboutissons à une absurdité. Tandis qu’en admettant son mouvement que nous ne sentons pas, nous aboutissons à des lois. (L’attraction universelle). Ainsi en histoire,, la nouvelle conception dit : « c’est vrai, nous ne sentons pas notre dépendance, mais en admettant notre liberté, nous aboutissons à une absurdité ; tandis qu’en admettant notre dépendance, nous aboutissons à des lois. »
Dans le premier cas, il fallait renoncer à la conscience de l’immobilité dans l’espace et admettre un mouvement que nous ne sentons pas ; dans le cas présent il est de même nécessaire de renoncer à la liberté dont nous avons conscience et de reconnaître une dépendance que nous ne sentons pas.
9 commentaires:
c'est la premiere fois qu'une fenetre s'ouvre devant moi pour entrevoir une piste sur la comprehension de cet epineux probleme du libre arbitre qui me tient au corps depuis de nombreuses annees je ferme ce message et je reprend une fois encore la lecture de cet extrait
le celte
Fortiche, le gars Tolstoï!
Bon dimanche...
Et le tour en moto, c'est pour quand?
Bisous*
Il y a longtemps que je désire lire quelques oeuvres de grands écrivains, cat leur mots pointent aussi vers la Source.
Cet extrait profond et clair m'encourage.
Grâce à la Vie, Isabelle, tu es la "muse" qui nous mène vers eux...
Je t'embrasse.
J-P petto-intothewild
Il y a longtemps que je désire lire quelques oeuvres de grands écrivains, cat leur mots pointent aussi vers la Source.
Cet extrait profond et clair m'encourage.
Grâce à la Vie, Isabelle, tu es la "muse" qui nous mène vers eux...
Je t'embrasse.
J-P petto-intothewild
Je suis impressionné par ce texte.
J'avoue ne pas avoir lu Guerre et Paix et connaître peu l'auteur.
Je suis allé voir sur le net pour en découvrir un peu plus: il y est qualifié d'anarchiste mystique chrétien... A découvrir donc..
Merci Isabelle et Alain
Karl
c'est fort.Merci Isabelle et Alain.
c'est fort.Merci Isabelle et Alain.
L'homme est une créature dépendante.
Le bonheur n'a de sens que partagé.
Une relation ne peut exister si elle n'est que dans l'émotion. Une relation ne peut exister si elle n'est que dans la raison.
Je me souviens d'avoir mis 3 ans et deux tentatives lectures ratées pour passer les 50 premières pages de ce sacré bouquin. Comme Etty parle souvent de Tolsoï dans son journal, et Rilke dans sa correspondance, je me suis accroché. La troisème fut la bonne.
Quelle densité ce roman! Tolstoï nous y laisse assis, dos au vide, sur un appui de fenêtre, à vider cul-sec des bouteilles de vodka, il nous rend éperdument amoureux de la belle Natasha, épris de Pierre et de ses chevauchées; il nous fait marcher dans la boue, la neige et le sang avec la Grande Armée en déroute. Et, alors qu'étourdis par ces 1000 pages épiques, on croit se diriger en roue libre vers le point final, voilà qu'il nous passe Napoléon à la moulinette bouddhico-slave… et nous avec. Oui, comme on dit ici "Léon c'est un pei* comme un building"
Tolstoï sur iPapy un lundi matin! Voilà qui me met de bonne humeur pour commencer la semaine :-)
Chaleureuses pensées pour l'Isabelle inspirée, pour notre Très Vénérable Blogger et pour toute la Ipaps sangha
* pour ceux qui ne parle pas couramment le belge "peï", ça se prononce comme le 'peye' à la fin du mot 'Popeye'(le marin)
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