lundi 27 octobre 2008

Le miroir initiatique (1)

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J'ai retrouvé bien au chaud dans les entrailles de mon Mac quelques textes écrits en 2002, je pense que certains peuvent vous intéresser. Voici le début du premier:


Le mythe de Narcisse, un des plus grands mythes qui soient, est extrêmement signifiant pour tout chercheur spirituel. C’est à mon avis le seul grand mythe qui nous donne de la manière la plus concrète, la plus évidente, la clé des retrouvailles avec notre véritable nature.

C’est un mythe qui nous dit très fortement et même très brutalement où est notre erreur fatale, c’est à dire comment nous nous enfermons dans une croyance mortelle. Mais c’est aussi un mythe qui annonce la bonne nouvelle. Car si nous réalisons en pleine lumière comment nous avons été emprisonnés, par quel processus, par quels moyens, alors peut-être serons-nous dans les meilleures dispositions pour nous délivrer, en faisant le chemin en sens inverse, en retournant là où nous sommes déjà . Tout chemin spirituel est un voyage paradoxal, puisqu’il s’agit de revenir en un lieu que nous n’avons jamais quitté !


Rappelons ce mythe qui est décrit par Ovide dans ses Métamorphoses. En voici les aspects essentiels : Narcisse était un jeune homme d’une grande beauté, mais plutôt vaniteux et tout à fait indifférent à l’amour qu’il suscitait chez de nombreuses jeunes beautés en particulier la merveilleuse nymphe Echo. Un jour, alors qu’il cherchait à fuir ses soupirantes, il s’approcha d’un lac dont les eaux très pures et très profondes formaient un miroir parfait. Narcisse se pencha alors pour se désaltérer et il aperçut son image pour la première fois. Il fut absolument émerveillé par la beauté de cette image, elle exerça sur lui une telle fascination qu’il voulu « être cette image ». Il se pencha pour essayer de faire un avec l’image ensorcelante. Il perdit l’équilibre, tomba dans le lac et se noya.

Nous sommes bien sûr habitués à une lecture psychologique de ce mythe : le narcissisme est un amour névrotique, exagéré de soi-même. Mais en fait, il existe une lecture spirituelle de ce mythe qui est tout aussi simple et extrêmement riche de sens. A partir du moment où je me prends pour mon image, pour mon apparence, pour mon moi, pour mon visage, pour ma per-sona, la sanction est terrible et sans appel : c’est la mort. Tant que Narcisse se contente de regarder son image à partir de la berge en la considérant comme étant là-bas et non pas ici, tant qu’il la considère comme distincte de lui, il reste en vie. Mais devenir cette image réfléchie signifie tout simplement mourir.


Or le mythe de Narcisse, c’est la description du processus d’éducation du petit de l’homme. C’est la description de ce que l’on appelle en psychologie « l’acquisition de la personnalité ». Mais pour nous chercheurs spirituels , cette acquisition de la personnalité aussi indispensable qu'elle puisse être, représente également le processus même de l’identification de la conscience à une forme qui porte un nom.

N’oublions pas qu’éduquer veut dire « mener en dehors de », en dehors de l’infantilisme certes, mais en même temps et inévitablement, l’éducation c’est exiler le petit enfant de sa véritable nature, véritable nature dont il n’a pas encore conscience. Voyons cela d’un peu plus près. Un bébé est par définition tout petit, mais il est tout petit pour nous adultes, observateurs extérieurs. Un bébé n’a pas conscience d’être, comme un bébé n’est évidemment pas enfermé dans l’idée qu’il est un bébé. Le bébé pour lui-même est totalement sans limites, il est ouvert, totalement ouvert. Il ne faut pas chercher ailleurs la fascination qu’exercent les bébés sur toute personne suffisamment présente et sensible, quelquefois même, cette fascination débouche sur un malaise.

Un bébé qui nous regarde, c’est Dieu qui nous regarde, l’Etre, la Conscience en direct, sans le prisme déformant du mental, des concepts et des croyances. Quelquefois, on peut retrouver la même perception en face d’un vieillard , d’un homme ou d’une femme arrivé sereinement pour ne pas dire joyeusement au crépuscule de sa vie, et qui est là, simplement sans attente, mais rayonnant d’Etre, de présence, de conscience et de silence. C’est malheureusement de plus en plus rare. C’est beaucoup plus facile d’avoir l’occasion de vivre cette expérience avec des bébés.

En relisant les évangiles, il est toujours frappant de noter l’importance que Jésus accorde au nécessaire retour à l’innocence mentale de l’enfant, à la fraîche, naïve et pure présence du tout petit. Dans le logion 4 de l’Evangile de Thomas, Jésus a dit : « Alors le vieil homme demandera au petit enfant de sept jours comment accéder au lieu de vie, et il vivra ».


(à suivre)
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7 commentaires:

Anonyme a dit…

Ne plus répondre à une identité, à des concepts, des mots, des étiquettes.
Mais me répondre à moi. M'entendre et me correspondre. Me cueillir, m'accueillir et fleurir. Pour la beauté d'être...
Isabelle

Anonyme a dit…

Je n'avais jamais songé à cette interprétation du mythe. Elle me parait très juste. C'est évident que les bébés nous regarde en direct de la pure conscience et c'est totalement fascinant un regard de bébé. Il 'se percoit' également tout ouvert c'est vrai. Il peut pas faire autrement. C'est la clef et pourtant on a beau le savoir on retombe sans cesse dans le piège de se prendre pour soi ! Il faut plutôt travailler sur ce qui nous éloigne de cet état (demandes, peurs, etc...) plutôt que de vouloir l'atteindre et y rester par la volonté ... c'est bien cela ?! Merci
Karl

Berit a dit…

la lecture du mythe de Narcisse m'a donnne la chaire de poule!
Oui c'est ca,c'est la mort de se prendre pour l'image dans le mirroir.
Merci pour ce bon text,Alain.

akidbelle a dit…

La chaire de poule, excellent lapsus Berit! Quelle université?
A+
Jacques

Berit a dit…

l'universite ignorance,cher Jacques.

Anonyme a dit…

La mort n'est-elle pas la continuité de la vie ?

France G. a dit…

Ne plus répondre à une identité, à des concepts, des mots, des étiquettes.
Mais me répondre à moi. M'entendre et me correspondre. Me cueillir, m'accueillir et fleurir. Pour la beauté d'être...
Isabelle

J'aime beaucoup le commentaire de Isabelle, voila la vrai transformation alchimique. Bravo !