jeudi 30 octobre 2008

Le miroir initiatique (4)


Peut-être connaissez vous la légende de Nachiketa, une célèbre légende indienne qui, comme toutes ces vieilles légendes traditionnelles, possède de nombreuses versions différentes.
Vous pouvez la retrouver dans un livre récent : « Après l’extase la lessive » du bouddhiste Théravada Jack Kornfield (à partir de la page 75).

Je vous renvois à la lecture de ce livre pour le début de la légende de Nachiketa. Ce qui nous intéresse ici c’est la fin de la légende, lorsque le héros auquel le seigneur de la Mort avait accordé trois vœux, formule son troisième et dernier vœu. Nachiketa s’adresse à la Mort : « Je demande ce qui est immortel ».

La mort est un peu agacée, prise de court, et elle essaye de convaincre Nachiketa de demander plutôt des choses « vraiment intéressantes » , comme par exemple un harem de belles jeunes vierges . Mais Nachiketa est solide et il ne se laisse pas endormir, Yama le seigneur de la Mort est obligé de s’exécuter et de lui accorder son troisième vœu. La mort, nous dit Kornfield « tendit alors à Nachiketa un présent simple et pourtant extraordinaire : un miroir. « Nachiketa, si tu souhaites trouver le secret de l’immortalité, je ne peux t’aider davantage. ».

C’est tout de même extraordinaire, parce qu’un miroir, nous devrions pouvoir nous procurer cela assez facilement. Mais encore faut-il que nous soyons véritablement intéressés pour découvrir ce qui est immortel, et que nous disposions du véritable mode d’emploi ! Le « problème » dans le livre de Kornfield, c’est qu’il ne va pas jusqu’au bout, il ne donne pas précisément le mode d’emploi du miroir, et c’est bien dommage, parce qu’évidemment ce mode d’emploi existe. Jack ne nous dit pas en quoi ce cadeau du miroir est si extraordinaire. Et c’est là que la légende indienne et le mythe de Narcisse se rejoignent tout en confirmant au passage les découvertes les plus récentes de la psychologie génétique.

Si le miroir constitue un des outils les plus puissants du processus d’identification, on peut penser et surtout essayer de vérifier expérimentalement si ce même outil ne peut pas nous permettre de faire le chemin en sens inverse. Alors essayons de faire confiance à Yama, tout en tenant compte de l’expérience malheureuse de Narcisse. Mais pour cela nous devons passer de la tentative de compréhension à la tentative d’expérimentation.

Procurez-vous un miroir et demandez à un ami de vous lire ce qui suit pendant que vous faites l’expérience de Nachiketa ou celle de Narcisse si vous préférez. Tenez le miroir à bout de bras et regardez attentivement ce petit visage que vous connaissez bien. Regardez le comme si c’était la première fois et soyez prêt à remettre en cause toutes vos idées et croyances à propos de vous-même. D’abord, essayons de voir, je dis bien voir, pas comprendre ou sentir : VOIR, où est ce visage que je vois ici et maintenant. Est-il ici, ou là-bas dans le miroir ? Quelle est votre expérience ? Je vais vous dire la mienne, mais n’en croyez pas un mot, vérifiez par vous-même, et pour vous-même ! Mon expérience, ici et maintenant, sans faire appel à la mémoire, à l’imagination, à la sensation ou à la compréhension, c’est que ce visage est loin de moi. Il n’est pas là où je suis, il est là-bas dans la distance derrière le miroir.

Maintenant, dans le même état d’esprit, essayons de voir, j’insiste : VOIR, si de mon côté, là où je suis, il y a le même visage . Je ne sais pas pour vous, mais en ce qui me concerne , je ne vois qu’un seul visage, je ne vois qu’une seule forme que je peux nommer comme mon visage et cette forme elle est là-bas, pas ici. Nous sommes donc dans la position de Narcisse avant qu’il ne se noie. C’est bien là-bas en effet, dans le lac miroir, qu’il voyait l’image adorée. Mais nous sommes aussi dans la situation de Nachiketa regardant dans le miroir que lui a donné Yama et découvrant que son visage n’est pas là où il croyait qu’il était.

Voyez si votre expérience est la même que la mienne ; de mon côté, dans la direction de ce qui regarde, je ne découvre rien de semblable à ce visage là-bas. Ici, là où je suis, c’est clair, ouvert, transparent, espace d’accueil pour le visage du miroir.

(à suivre)
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6 commentaires:

Catherine Bondy:Psycho-Praticienne et Peintre. a dit…

OUI alain,
...................................
et si le problème venait du regard que l'on rencontre quand on est regardé ?
..................................
d'où tous les conflits de non- reconnaissance ...................
..................................
si chaque être humain se sentait vu avec un regard d'accueil , oh !
combien de conflits et de guerre seraient épargnés ?...............

Mabes a dit…

D'accord avec toi Gandha, je me disais aussi que l'identification à la face se fait aussi dans le face à face, lieu de tous les jugements...qui aimerait que son meilleur ami tombe amoureux d'une femme laide et si en plus elle est colérique... ?!
mais d'un autre côté, si on doit compter sur l'autre et son accueil pour entrer en harmonie avec son essence...
cela m'a toujours frappé et plu que dans le zen, les méditants se tournent vers le mur...
Merci Alain, ces textes sont passionnants.

Berit a dit…

oui,Gandha,ca m'a toujours interesse aussi,le regard de l'autre.C'est la meme"chose"qu'ici qui regarde:l'espace d'acceuil,Dieu...,pas les yeux en chair.
Seulement que ce regard est souvent couvert avec les idees,le preconceptions,le mental,la persona.Accepter cet persona,de le prendre en moi,etre ca.Etre Un et savoir que nous sommes deux aussi.
Et quand il n'y a pas le mental,comme j'ai bien pue le vivre aussi avec quelques personnes ou dans quelques situations un peu speciale ,il y a
silence...c'est difficile a decrire.Mais ce n'est rien de special non plus.C'Est,ce tout.

Anonyme a dit…

Les miroirs habituels nous font voir ce que l’on croit être. Voici maintenant comment fabriquer un miroir qui nous montre ce que l’on est vraiment. Prenez un miroir du commerce, assez grand, avec un cadre autour. Otez le verre réfléchissant, pour ne garder que le cadre. Tenez le cadre à bout de bras et regardez vous dedans. La vérité est très simple : Ce qui est vu, ce qui voit, et la vision sont une seule et même chose. Jean-Marie

Anonyme a dit…

Jean-Marie, pour terminer l'expérience du cadre, il faut le rapprocher de soi, que l'ouverture soit assez grande pour y enfiler la tête et voir attentivement ce qui se passe...(Voir conduite de cette expérience dans livres de Douglas Harding)...
J-P Gepetto

Anonyme a dit…

Merci Alain pour cette série de textes très inspirants et motivant pour continuer à expérimenter avec le moins d'"oublis" possibles, cette vision si "simple" et si révolutionnaire.
Jean-Christophe
Gratitude