jeudi 3 avril 2008

Une spiritualité qui transforme (6)

(suite et fin du 5)

Parce que, voyez-vous, ce qui est alarmant, c’est que toute réalisation porte en elle un terrible fardeau : ceux à qui il a été donné de voir sont simultanément harnachés à l’obligation de communiquer cette vision en termes très clairs. Tel est le contrat. Il vous a été permis de voir la vérité à la condition que vous la communiquiez aux autres (tel est en fait la signification des vœux du bodhisattva). Par conséquent, si vous avez vu, vous devez tout simplement le dire. Le dire avec compassion, le dire avec une folle sagesse, ou le dire par des moyens habiles, mais dire, il le faut.

Voilà le vrai et terrible fardeau, qui ne laisse aucune place à la timidité. Que l’on puisse se tromper n’est pas une excuse : que vous soyez juste ou non dans votre façon de communiquer n’a guère d’importance. Comme nous le rappelait si brutalement Kierkegaard, ce n’est qu’en parlant avec passion de votre vision que la vérité pourra pénétrer d’une façon ou d’une autre la réticence du monde. Il n’y a que cela qui compte.

Que vous ayez raison ou que vous ayez tort, vous ne le découvrirez qu’à la force de votre passion. C’est votre devoir de mettre en avant cette découverte – de n’importe quelle façon – donc il est de votre devoir de dire votre vérité avec toute la passion et le courage que vous pourrez puiser dans votre cœur. Votre devoir est de crier comme vous le pouvez.

Le monde vulgaire hurle déjà et avec un vacarme tellement assourdissant que les voix plus justes sont à peine audibles. Le monde matérialiste déborde de publicités, d’attractions, d’incitations hurlantes, de commerce criard, de vagissements de bienvenue, d’invites aguichantes. Loin de moi l’intention d’être dur : il est important d’honorer les engagements mineurs, mais on ne peut ignorer que « âme » est devenu le mot le plus galvaudé dans les titres des meilleurs ventes en librairie.

Cependant « l’âme » dont parlent ces livres n’est qu’un travestissement de l’ego. Dans l’appétit dévorant de l’avidité translative, le mot « âme » a pris le sens non pas de ce qui est éternel en nous, mais de ce qui en nous se débat à grands cris dans ce bas monde. Ainsi, aussi absurde que cela puisse paraître, « prendre soin de son âme » a fini par ne signifier rien d’autre que de se concentrer intensément sur notre moi ardemment séparé.

Le mot « spirituel » est sur toutes les lèvres mais pour ne se référer généralement qu’à un sentiment profondément égotique, comme « cœur » finit par signifier toute sensation sincère de contraction intérieure.

Tout cela, en vérité, n’est que le bon vieux jeu de la translation sur son trente et un pour aller en ville. Cela serait plus qu’acceptable sans le fait alarmant que toutes ces manœuvres translatives sont dotées agressivement du nom de transformation, lorsqu’en fait ce ne sont que de fringantes translations. En d’autres termes, il semble que dans ce jeu de faire de toute nouvelle translation une grande transformation, il y ait hélas une profonde hypocrisie. Et le monde dans son ensemble, en Orient comme en Occident, au Nord comme au Sud, est et a toujours été totalement sourd à cette calamité.

Ainsi donc si, devant l’amplitude de votre propre réalisation authentique, vous vous prépariez à murmurer gentiment à l’oreille de ce monde presque sourd, mon ami, je vous dis non. Vous devez hurler. Hurler depuis le tréfonds de votre vision, comme vous le pouvez.

Non sans discrimination pourtant. Procédons à ce cri transformateur avec prudence. Laissons les petites poches de spiritualité transformatrice radicale, de spiritualité authentique concentrer leurs efforts et transformer leurs étudiants. Laissons ces poches commencer à exercer leur influence doucement, avec prudence, responsabilité et humilité, et tout en embrassant une tolérance absolue pour tous les points de vue, tenter néanmoins de défendre une spiritualité authentique, véritable et intégrale, tout cela par l’exemple, par le rayonnement, par une évidente délivrance, une libération manifeste.

Que ces poches de transformation persuadent le monde et ses individus réticents avec douceur, défient leur légitimité, leurs translations qui limitent, et suscitent l’éveil de la torpeur qui hante le monde dans son ensemble.

Que cela commence ici, maintenant – avec vous, avec moi – avec notre engagement à respirer dans l’infini jusqu’à ce que l’infini seul devienne l’unique affirmation que le monde reconnaisse. Qu’une réalisation radicale irradie de nos visages, hurle de nos cœurs et tonne de nos esprits, ce fait simple et évident : que vous, dans l’immédiateté même de votre conscience présente, êtes le monde dans sa totalité avec toute sa froideur et sa fièvre, toutes ses gloires et sa grâce, tous ses triomphes et ses larmes.

Vous ne regardez pas le soleil, vous êtes le soleil; vous n’entendez pas la pluie, vous êtes la pluie; vous ne touchez pas la terre, vous êtes la terre. Et dans cette lumière simple et claire, que l’on ne peut remettre en cause, la translation a cessé en tous les domaines, et vous vous retrouvez transformé en Cœur du « Kosmos » lui-même et là, à ce moment précis, tout simplement, tout tranquillement, tout est défait.

L’émerveillement et le remords vous seront alors complètement étrangers, de même que le moi et les autres, le dedans et le dehors n’auront plus aucun sens pour vous. Et dans ce choc de la reconnaissance – lorsque mon Maître est mon Moi et le Moi est le « Kosmos » dans sa totalité – vous pénétrerez doucement le brouillard de ce monde et le transformerez totalement en ne faisant rien.

Et alors, et seulement alors – avec compassion, soin et clarté, vous écrirez enfin, sur la tombe d’un moi qui n’a jamais existé : Tout est Ati.

12 commentaires:

akidbelle a dit…

Par ToutAtis!

Chronophonix a dit…

Le livre de Ken Wilber "Les trois yeux de la connaissance" est quasiment introuvable en français, mais vous pourrez le télécharger au format pdf en version complète.
Voir article sur le Sangha blog (ou le Chronophonix blog)

Anonyme a dit…

Alors c'est fini? pas de "à suivre..."?
Ok, il est bien, ce p'tit gars, un bon coup de feu comme ça, c'est pas d'refus!
Pratique now!

Anonyme a dit…

Je pense en effet que Ken Wilber est un penseur très original et très contemporain. Il a l’art de décortiquer d’analyser et de catégoriser l’approche de l’audelà de la pensée et de développer des angles d’approche nouveaux. Je l’ai découvert comme beaucoup d’autres dans « what is enlighment »… Une pensée aussi « moderne » sur de tels sujets est intellectuellement intéressante mais, à tort ou à raison, j’avoue que, de façon générale, en dehors de l’intellect cela me touche peu même si j’apprécie le cerveau bien organisé et ouvert à l’au delà de lui-même.
Sur le thème développé par Wilber dans cet article, il y a un « penseur » ou journaliste français qui me touche beaucoup c’est Bernard Klein (qui est peut être lui-même fan de Wilber ?). Il a fait plusieurs textes sur les approches religieuses et la spiritualité dans Tao Yin (par ex, le N° 52) où il décrit notamment ce qu’il appelle « doctrines adolescentes » et « spiritualités adultes » Que je trouve excellents (la pensée est claire) et profonds…
D’ailleurs, une question aux sympathiques membres de cette Sangha : quelqu’un saurait-il si ce monsieur a aussi1 blog ou 1 site ???

Tam

Anonyme a dit…

In ne suffit pas de tourner autour du pot intellectuellement il faut en sortir...merci Douglas! François

fishfish a dit…

ouais y en a marre il faut en sortir, on va pas rester enfermer toute notre vie quand même, même si la cuisine est pas mauvaise!

Anonyme a dit…

moi je trouve que c'est bon quand ca s'arrête qq fois.......

Anonyme a dit…

Au fait : spiritualité qui transforme, ce ne serait pas un pléonasme ?

Il me fait penser aux prophètes,

et, alors que j'avais 12-13 ans à cet aumônier qui en pleine basilique de Vézelay, après avoir chanté un Alleluia à décrocher les cimaises, nous a dit :

"Je suis là pour faire de vous des hommes et pas des cons !"

gjm

Anonyme a dit…

Hello gjm, l'aumônier à Vézelay, je trouve qu'il avait un Sacré-bon-sens...
A plus.
J-P bonsens-petto

Anonyme a dit…

Un nouveau livre en francais de Wilber, va bientôt paraitre: 'Le Livre de la Vision Intégrale'. Disponible mi-avril sur amazon france.
Philippe.

Anonyme a dit…

Un esprit analytique puissant ce Mister Wilber.
Pour compenser ma solitude existentielle c'est-à-dire mon manque d'amour, j'ai dû développer mon intellect, la méthode a ses limites.
Avant-hier l'Imam d'ici nous disait : il est nécessaire d'être des bien-faisants, de choisir la meilleure méthode (la meilleure) ; cela demande un effort constant. Sourate 29 verset 46.

Aujourd'hui un Pentecôtiste nous disait : au début, au paradis il y avait 2 arbres, le premier celui de la simplicité, de l'acceptation de la volonté de Dieu (Ramdas l'a choisi cet arbre) ; le second arbre de la connaissance du bien et du mal, de l'analyse, de l'opposition, de la discussion, a été choisi par l'homme.

gjm

Anonyme a dit…

Super se dénoncer et se brûler miam ,miam

May