Il y a des moments dans l’existence où tout semble s’emboîter parfaitement. Les actes épousent les idées avec harmonie, les événements se mêlent aux coïncidences pour former une toile dans laquelle s’empêtrent les obstacles et les problèmes et s’étiolent nos peurs. D’une décision naissent des rencontres, des découvertes, des vérités qui nous touchent. Et nous savons que ce que nous vivons dans ces moments-là nous révèle à nous-mêmes.
Notre rencontre avec le monde amérindien fait partie de notre toile. Chaque parole, chaque silence, chaque sourire et chaque larme sont un fil dans notre toile personnelle, elle-même fil de la grande toile de la vie. Nous sommes à jamais bâtis de nos amitiés avec Jon, Suzi, François, Andrew, Sally, Jimmy, Patricio, Manuel, Pedro, Rigoberto, Luis, Rosse-Mary et les autres. Nous sommes à jamais connectés à eux, comme nous le sommes au reste du monde. De nos actes dépend leur survie, des leurs dépend la nôtre.
Les Amérindiens – ou Indiens d’Amérique, expression encore largement utilisée mais jugée péjorative par la plupart des peuples concernés – n’ont pas disparu. Non pas que l’on ait rien fait pour cela, mais il faut croire qu’une force plus grande que celle avec laquelle on a tenté de les exterminer les habite. Malgré les massacres, les maladies, les travaux forcés qui sont venus à bout de 90% de la population indigène au cours des cent premières années de la conquête, les Amérindiens ont survécu. Ils disent aujourd’hui plus de quarante millions d’individus, du nord au sud du continent.
Ils sont inupiaks, tlingits, dénés, navajos, hopis, havasupais, tarahumaras, mayas, kunas, gambianos, shuars,quechuas, aymaras, mapuches, pour ne parler que de quelques-uns. Il vivent dans la toundra, au cœur du désert, au fond d’une forêt ou retirés dans des montagnes, en bord de mer, de précipice, de fleuve. Ils sont citoyens de pays dont les frontières les ont séparés, divisés ; dont les modes de vie dominants tentent de les rattraper. Certains dont instruits, d’autres pas. Certains vivent dans l’aisance, d’autres dans le dénuement. Pourtant, la plupart de ceux que nous avons rencontrés nous ont accueillis, nous ont ouvert leurs portes, nous ont intégrés à leur vie.
Nous avons rapidement su que, pour comprendre le monde indigène d’aujourd’hui, il ne fallait pas se cantonner aux vielles pierres, aux livres et aux musées. Il fallait une approche concrète, sur le terrain, au plus près des populations. Il fallait oublier nos préjugés, nos idées reçues, nos fantasmes. Seuls les Amérindiens pourraient nous apprendre à les connaître. Ni ethnologue ni guide ne le feraient mieux qu’eux-mêmes. Pour cela, nous devions aller à eux, pénétrer leur univers – du moins ce qu’ils accepteraient de nous en révéler. Rarement avons-nous été victimes de discrimination. Rarement avons-nous été repoussés. En temps que voyageurs, nous avions l’avantage de pouvoir nous adapter, pour le meilleur et pour le pire. Et s’adapter au monde amérindien, c’est apprendre les gestes quotidiens, retrouver son humilité perdue. C’est prendre le temps de regarder, d’écouter, de travailler. C’est se joindre aux autres et oublier son intimité. Devenir berger, agriculteur, chasseur, cueilleur. Manger la même soupe que ses hôtes, dormir dans la même pièce. Danser avec eux, boire leur chicha, bercer leurs enfants, filer leur laine. C’est vivre avec eux, dans leur maison, dans leur milieu. Et aimer cela.
A nous immerger dans le vie des Amérindiens, à mettre nos destins à portée de leurs actes en nous déplaçant à leur manière – en stop, à pied, à cheval, en bus, en embarcation locale - , nous avons eu la chance de nouer des relations privilégiées avec nombre d’entre eux. Avec la confiance mutuelle vinrent leurs paroles, vint notre écoute. Regards extérieurs dans ces mondes souvent méprisés ou méconnus, nous étions les confidents idéals. Entraient alors en scène caméra et appareil photographique.
Ce livre est le fruit de la confiance établie entre eux et nous. Il est un hommage à ces hommes et à ces femmes qui ont survécu au plus grand massacre de l’histoire de l’humanité. Non seulement un hommage, c’est aussi un témoignage. Qu’ils soit hommes d’affaires, paysans ou chasseurs-cueilleurs, les Amérindiens ont conscience que le monde change. Ils savent qu’il y a déséquilibre, injustice. Ils savent que la Terre est en danger au nom d’un progrès factice, et que la loi du plus fort a dévié l’existence de sa voie. Ils savent que tout est en train de se jouer, aujourd’hui et dans un proche avenir. Ils savent enfin que, même s’ils sont victimes du changement, ils doivent eux aussi agir.
Nous avons donc choisi ici de leur laisser la parole. Les textes de ce livre sont les traductions de près de cinquante heures d’entretiens et de discours en anglais, en espagnol et parfois en langue locale avec des hommes et des femmes du continent, de toutes conditions, de tous âges, de tous pays, enregistrés entre avril 2005 et mai 2007. Nous retrouvons dans leurs mots des idées communes, même s’ils les ont exprimées chacun à sa manière. Paroles et revendications se font souvent écho. Du nord au sud du continent, la distance est moins grande qu’il n’y paraît.
Et puis il y a leurs images. Celles de leurs communautés, de leurs gestes quotidiens, de leurs sourires, de leurs tristesses, de leurs fêtes, de leurs célébrations. Elles ne sont ni volées, ni forcées, ni payées. Elles ne sont pas le fruit d’une course à la photographie. Elles sont le résultat conscient d’amitiés, d’un peu de vie en commun, de regards prolongés. Elles n’existent que parce que les indigènes américains ont acceptés qu’elles existent. Les autres images celles qui étaient trop intimes, trop dures, trop belles pour être photographiées, sont imprimées à jamais dans nos esprits.
Ce qui est touchant dans le message de ces peuples, c’est qu’il nous rappelle sans cesse que leur histoire est notre histoire. Faite d’émergence, de migration, de lutte pour la survie. Faite de grandes civilisations, de conquêtes, de chocs, d’alliances. Faite de croyances et d’amour pour un autre degré de réalité, divin, sacré. Ce qu’ils sont en train de perdre aujourd’hui face au progrès, c’est ce que nous avons perdu il n’y a pas si longtemps. Le respect, l’amour, l’humilité, la foi. Ils se battent pour leur autonomie, leur liberté, leur langue, leur différence comme nous l’avons fait nous-mêmes et le ferons encore. Ce combat pour la survie qu’ils ont entrepris, nous devons le soutenir car c’est le combat de l’humanité en général. Si nos histoires sont liées, notre avenir le sera aussi.
Par ce livre, nous désirons établir l’équilibre entre eux et nous. Ils nous ont donné. A nous aujourd’hui de leur rendre ce présent, de contribuer à leur combat qui est aussi, bien entendu, le nôtre. Ils sont nos frères parce que nous avons la même mère : la Terre. Peut être un jour nous souviendrons-nous que nous sommes, nous aussi, fils et filles de la Terre.
8 commentaires:
Merci Corinne pour ce conseil de lecture. Ca donne envie.
bon dimanche
Karl
merci Crinne-oui,cela donne envie,notamment de me procurer ce livre sur un sujet qui me tient à coeur...
oh,sorry:Corinne!
Oui,nous habitons ensemble dans la même maison-Terre,sans nous rendre compte,tellement omnibulés par notre individualisme qui est trop répandue.
Merci Corinne.
Philippe.
quand mème,leur premier paragraphe,c'est quelque chose,non!?--ça me rappelle une affirmation lancée un soir par Christian Vander au"pop cluh" sur France Inter à José Arthur:"...C'est comme la vie,une succession d'improvisations...et de révélations!"
Beau car allant vers l'essentiel.
En regardant les photos,on voit:"Il est impossible de mettre le seul terme d'Amérindien pour des peuples qui furent si différents,
autant que purent l'etre des peuples à travers l'histoire en Europe."
Voyant qu'il est impossible d'imaginer la variété que tout ces peuples représentent,nous voilà libre de fausses connaissances,
il nous reste l' écoute,le partage de ce qui est vécu en vivant ensemble,et l'amour.
Bouquin Positif.
Ils n'ont pas disparu. Ils devaient être là pour nous rappeler comment nous souvenir de qui nous sommes quand le moment serait venu. C'est le moment.
Première résolution pour Gepetto en 2009 : je me coiffe avec des plumes d'aigle...
J-P indiano-petto
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